Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

« Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours »
(Napoléon Bonaparte)

Mise à jour du 7 mai 2022
Dessiner booste la mémoire… Eh oui…

Mon attention vient d’être attirée par un article paru dans un journal de l’Association for Psychological Science, dont le résumé a été repris par ScienceAlert et quelques autres sites, dont le Huffington Post.

L’article était sobrement intitulé « Les scientifiques trouvent un truc simple pour se souvenir de presque tout ». Tout un programme ! Le truc simple, c’est le dessin. Pas le dessin d’art, non ; mais le dessin ordinaire, le croquis, comme vous pouvez le faire, même maladroitement. Dessiner améliore la mémoire, facilite le rappel.

Evidemment, je connais ça depuis longtemps. Je l’évoquais déjà dans mon premier ouvrage Décuplez voter mémoire par la méthode Memori, qui date de 1993. Je me fondais, d’une part, sur la théorie du double codage et d’autre part, sur… l’expérience. Et, vous savez, on en tient une couche d’expérience ! Pensez donc : ça date de l’Antiquité…

Les anciens Grecs et les Romains le disaient, l’écrivaient, le pratiquaient. A cette époque, les supports d’écriture étaient rares, chers et même hors de prix. Alors on faisait marcher sa mémoire ! Et ceux qui en avaient le plus besoin étaient les orateurs, les politiciens souvent les mêmes…), les avocats (idem… ça n’a pas beaucoup changé !).

Ils ne pratiquaient guère le dessin. Mais tous pratiquaient des méthodes mnémotechniques. Et tous utilisaient aussi la mise en image des choses à retenir. Mentalement, à défaut de pouvoir le dessiner. Plus tard, avec l’invention du papier, les mnémonistes sont passés au dessin.

Finalement, c’est assez amusant de voir qu’en août 2018, une sérieuse équipe scientifique de l’université de Waterloo (non, pas en Belgique, au Canada !) pousse un eurêka pour avoir retrouvé ça…

Malgré tout, leur étude est intéressante parce qu’ils ont testé d’une part, des personnes de moins de 20 ans et, d’autre part, des personnes (très) âgées : plus de 80 ans. Le grand écart, quoi !

En quoi consistait l’étude ?

On donnait aux participants une série de mots. Ils devaient tantôt écrire des mots, tantôt dessiner ce qu’ils représentaient.

Après quoi, on leur faisait écouter de la musique. Pour les aider à mémoriser ? Ah non alors, pas du tout ! Bien au contraire. C’était pour les distraire de ce qu’ils venaient de faire… Cet intermède, dans le métier, on appelle ça un distracteur. Ça porte bien son nom. Il se trouve, en effet, que les distractions, les interruptions sont les pires ennemis de la mémoire…

Ensuite, seconde partie du test: on leur demandait de se rappeler les mots qu’on leur avait donnés. Résultat identique chez les jeunes et les vieux : ils ont tous restitué plus de mots lorsqu’ils avaient fait un dessin, même très approximatif. La moindre ébauche, le moindre schéma, suffit. C’est même spectaculaire.

Ça ne m’apprend rien. Mais l’équipe était contente. Elle a découvert ce que tout le monde savait déjà depuis l’Antiquité: le dessin aide à mémoriser. Il faut toujours encourager les bonnes volontés, hein ? Et puis, elle a eu quand même le mérite de comparer des jeunes blancs becs et des vieux croulants. 😉

Ça, c’était nouveau.

Par ailleurs, étant donné que l’expérience était minutée, on a remarqué que les blancs becs restituaient plus de mots que les croulants. Pas nouveau du tout, ça, pour le coup. C’est connu, et c’est ce qui est à l’origine du mythe du déclin cognitif.

On en parle partout dans la « memorisphère ». Je rappelle tout de même que, si l’on ne leur met pas de limite de temps, les performances des aînés sont très honorables. En gros, il l leur faut 2 fois plus de temps pour faire aussi bien que les p’tits jeunes. Il s’agit donc d’un déclin de la vitesse de traitement et non pas d’un déclin cognitif. .. Non, mais !

La mémorisation par le dessin ferait échec au soi-disant déclin cognitif

Et justement, c’est là que l’étude est intéressante. Ben oui, quoi. C’est pas parce que je me moque des chercheurs qui redécouvrent la roue que leurs études sont sans intérêt ! Ils ont trouvé que les jeunes retrouvaient plus de mots par le dessin. Les vieux aussi.

Mais, justement, l’amélioration était beaucoup plus nette chez les vieux. C’est comme si le déclin de la vitesse de traitement concernait plus les mots que leur représentation imagée. Les dessins semblent échapper, dans une large mesure, à ce déclin.

Pour les jeunes c’est juste un petit plus. Pour les vieux, c’est un très gros plus.

C’est tellement vrai que les auteurs se demandent si ça ne pourrait pas aider les personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer. On s’achemine vers l’idée de leur demander de dessiner leurs courses à faire, par exemple.

Et, en effet, dessiner les produits à acheter semble efficace. Du moins au début, quand la maladie n’est pas devenue complètement invalidante. Dans le même ordre d’idée, dessiner une représentation des choses à faire dans la journée, du repas à préparer, des rendez-vous, etc., ça marche aussi.

Mais, dites-moi, vous ne trouvez pas ça bizarre, vous ? Pourquoi donc un dessin faciliterait-il le rappel ?

Ça aussi, c’est une vieille histoire. Dès qu’on s’est intéressé aux mécanismes de la mémoire, une théorie a vu le jour : la théorie du double codage. Si on vous dit « stylo », vous faites appel au codage verbal (lexical et sémantique) pour vous rappeler ce que c’est. Si on vous montre un stylo, en plus, vous rapportez ce que vous voyez à une image standard de stylo que vous avez stockée en mémoire.

La théorie du double codage

Comme cette mémoire imagée est liée aux autres, elle vous rappelle aussi ce que c’est. « Stylo » est codé deux fois, dans des circuits neuronaux différents. Voilà pourquoi vous avez deux voies différentes pour vous rappeler. Et plus d’efficacité pour retrouver le souvenir.

Eh bien, cette théorie s’est révélée correcte à l’épreuve des études scientifiques. Celles-ci ont confirmé l’expérience ancestrale pour laquelle la théorie du double codage s’imposait quasiment d’elle-même.

Mais, aujourd’hui, nous savons que c’est beaucoup plus riche que ça. On a découvert en effet que nous avons, que vous avez, une bonne vingtaine de mémoires. Et nous savons que la plus résistante, c’est la mémoire procédurale, dont fait partie la mémoire motrice.

Or, vos gestes pour dessiner vont laisser leur empreinte dans votre mémoire motrice. Donc, se rappeler ce que vous avez dessiné fera appel à votre mémoire imagée ET à votre mémoire motrice.

Vous aurez donc 2 voies de rappel en plus de la voie verbale, qui elle-même est déjà double. Ce serait différent si vous n’aviez pas fait vous même le dessin.

Pour vous rappeler d’acheter un stylo, regarder l’image d’un stylo est, certes, déjà plus efficace que regarder le mot stylo écrit. Vous activez votre mémoire imagée. Mais pas votre mémoire motrice. Alors que, si vous dessinez le stylo, vous ajoutez la voie motrice pour vous souvenir.

Cependant, en quoi la mémoire motrice ajoute-t-elle de l’efficacité à la mémoire imagée ? C’est parce qu’elles sont liées, notamment au travers de la mémoire sémantique. Vous ne pouvez pas dessiner une ébauche de stylo sans être conscient de ce que c’est.  Les traces neuronales des gestes effectués pour faire votre esquisse sont liées à l’enregistrement de « stylo » en mémoire sémantique.

En mémorisant le crayon à la main, vous activez donc des zones supplémentaires de votre cerveau. Et plus vous avez de zones impliquées dans une mémorisation, plus la remémoration sera rapide et correcte.

mémoire procédurale + mémoire imagée,
une (très) vieille histoire

Allons un peu plus loin. La mémoire motrice fait partie de la mémoire procédurale. Mais c’est quoi, ça ? Non, c’est pas un gros mot. Eh bien, c’est la mémoire d’une compétence ou d’une expérience acquise par l’exercice sur un assez long temps de sorte que, une fois que vous l’avez acquise, vous ne savez plus vraiment comment vous vous y êtes pris.

Ainsi, vous savez parler, vous savez lire. Vous savez faire du vélo et conduire votre voiture. Vous savez aussi marcher, courir et vous brosser les dents. Mais sauriez-vous détailler les étapes de votre apprentissage ?

En réalité vous les avez oubliées. Ce qu’il vous reste c’est votre savoir-faire, mais pas la manière dont vous l’avez acquis. La plupart du temps, vous avez utilisé votre mémoire procédurale pour faire cela. Cette mémoire est probablement la plus solide de toutes. La preuve, dans le cas de la maladie d’Alzheimer au dernier stade, c’est celle qui sombre en dernier.

C’est probablement, aussi, une des plus anciennes. L’homme préhistorique n’avait pas de vélo mais il savait marcher. Il n’avait pas besoin de se remémorer, tous les matins, le mode d’emploi de ses jambes… Ça se faisait tout seul.

Ce même homme avait aussi une mémoire des images performante. Sa survie en dépendait. Et (tiens tiens…) il a commencé à dessiner bien avant d’inventer le langage. L’Homme a donc très tôt relié la mémoire motrice et la mémoire imagée.

Et quand les préhistoriens se posent la question « pourquoi dessinaient-ils ? », leurs réponses impliquent toujours la mémoire. Leur hypothèse la plus fréquente, depuis longtemps, c’est que les dessins ou les peintures sur les parois des grottes leur permettaient de communiquer ce qu’ils avaient vu, de se le remémorer.

Par exemple, pour consigner une technique de chasse et la mettre à disposition des autres.

Quoi qu’il en soit, dessin et mémoire sont liés depuis la préhistoire.

Nos mémoires les plus anciennes
sont aussi les plus solides

Patrick Paillet, un préhistorien du Musée de l’Homme, avance que c’était une façon de « communiquer avec son groupe, avec d’autres hommes, transmettre sa propre vision du monde et perpétuer une mémoire au service du mythe ou de toute autre histoire ».

Ce scientifique voit plus loin que la transmission pratique. Et il est vrai que d’autres préhistoriens pensent que ces peintures pourraient avoir eu aussi des implications religieuses.

En tout cas, lorsque notre ancêtre peignait une scène de chasse il y a 40.000 ans il fallait bien qu’il ait gardé en mémoire ce qu’il avait vu. Il avait déjà une mémoire imagée bien avant l’invention du langage.

Et une mémoire motrice, évidement, puisqu’il marchait, chassait, ornait des grottes etc. On imagine mal qu’il ait du réinventer ces savoir-faire tous les matins…

Je trouve frappant que cette mémoire imagée, probablement aussi ancienne que la mémoire motrice, soit aussi une des dernières à s’éteindre lors de la dégénérescence cérébrale. Je ne suis donc pas étonné de son efficacité tout au long de la vie.

Elles sont d’ailleurs très logiquement liées. Dès que l’homme s’est déplacé, il a enregistré ce qu’il percevait par la vue et les autres sens. A cette époque, sa mémoire était essentiellement perceptive. Mais la variété et la quantité de ses enregistrements perceptifs lui venaient bien de son nomadisme.

Mémoire motrice et mémoire imagée sont donc liées depuis des dizaines de milliers d’années. Voyez d’ailleurs à ce sujet mon essai sur la mémorisation dans la préhistoire.

En plus, le dessin est plus efficace
que les autres moyens !

Revenons au dessin que vous avez fait d’un stylo. Votre mémorisation va impliquer au moins 2 mémoires verbales.

D’abord, la mémoire lexicale (comment ça s’écrit). Même si vous ne l’écrivez pas, elle sera automatiquement activée. Puis, la mémoire sémantique (qu’est-ce que c’est, à quoi ça sert ?). Même si vous n’y pensez pas vraiment tellement c’est évident, elle sera activée aussi.

Que ce soit en pensant à un stylo, en entendant ou en lisant le mot, ou en le dessinant, ces mémoires seront automatiquement activées.

Ensuite, dessiner va rajouter deux mémoires à votre mémorisation. La mémoire motrice, celle de vos gestes et la mémoire imagée dès que vous aurez créé une image. Ce sont donc 2 systèmes de codage supplémentaires.

On parle de double codage mais on pourrait, à première vue, parler ici de quadruple codage… En fait, c’est encore plus que ça : on devrait plutôt parler de multi codage. En effet, vous avez aussi mémorisé des épisodes dans lesquels vous avez utilisé votre stylo.

Par exemple quand vous avez été témoin de mariage et que vous avez signé le registre… « Stylo » est donc également présent dans votre mémoire épisodique. Honnêtement, je ne crois pas que ce soit ça qui va le plus vous aider à ne pas oublier d’acheter un stylo quand vous irez faire vos courses…

Néanmoins, toutes les traces mnésiques de « stylo » concourent à des degrés divers à vous faciliter le rappel. L’équipe de l’Université de Waterloo ne nie d’ailleurs pas qu’il y a d’autres facilitateurs pour rappeler l’information mémorisée.

Mais elle a démontré que le dessin faisait mieux que les méthodes suivantes utilisées seules:

  • Collaboration sémantique (à plusieurs, rechercher, vérifier le sens)
  • Visualisation (voir en esprit)
  • Ecriture (écrire le mot)
  • Ecriture d’informations concernant le mot.

Ces moyens n’ont pas démérité pour autant

A vrai dire, la visualisation marche très bien. Et si je recommande parfois d’y ajouter le dessin, il y a une raison, que vous connaissez maintenant.

Les autres techniques ne marchent pas trop mal. Par exemple, lorsque vous ne savez plus l’orthographe d’un mot, il vous suffit souvent de l’écrire rapidement, sans trop y penser, pour la retrouver. Si vous avez du mal à retrouver un numéro de téléphone, il suffit souvent de le composer au clavier pour le retrouver comme par enchantement…

Seulement voilà: le dessin fait encore mieux !

Les auteurs pensent que le dessin favorise surtout l’intégration, en enrichissant le contexte. Si vous avez besoin d’en savoir plus sur l’intégration, allez voir mon infographie. 

Et si vous avez besoin d’en savoir plus sur toutes vos mémoires, je vous recommande l’article « Combien de mémoires avez-vous ?« . Tout y est. Enfin presque…