Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

L’être humain est un animal sociable. Qui ne se souviendrait pas, aujourd’hui, de la perte de sociabilité que nous avons tous subie en 2020 pendant le confinement ? Pourtant, en y repensant, cela me parait presqu’irréel.

Les rues vides, cet étrange silence dont se détachait maintenant le chant des oiseaux, les sorties furtives limitées à une heure, le document à présenter en cas de contrôle, les commerces « non essentiels » fermés, de même que tous les lieux de sociabilité (bars, restaurants, salle de spectacles), les rayons vides dans les supermarchés, leurs rayons « non essentiels » inaccessibles etc., vous rappelez-vous ça ?

Si vous avez connu ça, je suppose que tout comme moi vous vous en souvenez fort bien. Mais qu’en est-il du contenu de ces journées passées la plupart du temps à la maison pour cause de chômage partiel ou de télétravail ? J’ai un mal fou à me le rappeler, comme si chaque journée devait être vide et identique à toutes les autres.

Aujourd’hui, en ce temps de commémoration du confinement d’il y a 5 ans, nous disposons d’études scientifiques qui montrent que notre cognition en général, et notre mémoire en particulier, en a beaucoup souffert. Et même plus que ça. Pour nombre d’entre nous l’impact est encore là, cinq ans après. D’où le titre de cet article.

Avez-vous conservé la mémoire des événements ?

Nous avons aujourd’hui de nombreux rapports établis par des ONG ou des associations caritatives. Ces travaux sont généralement descriptifs et statistiques. Les études scientifiques, quant à elles, ont cherché à mesurer si la cognition a été affectée par les confinements. Elles sont évidemment moins nombreuses car il faut disposer d’un référentiel d’avant Covid pour pouvoir évaluer l’impact.

La plupart des gens qui ont participé à ces études semblent bel et bien avoir oublié un certain nombre d’événements de cette période. Pas vraiment oublié à vrai dire, car si on leur rafraîchit la mémoire ils s’en souviennent assez souvent : « ah oui c’est pourtant vrai, j’avais oublié ça ». Mais spontanément ça ne venait pas.

Et vous ? Vous reviendrait-il spontanément qu’’il y a eu un confinement le 17 mars 2020 (levé le 11 mai) puis un deuxième le 30 octobre (levé le 15 décembre), puis un troisième le 3 avril 2021 (levé le 15 mai) ? Vous rappeliez-vous d’ailleurs qu’il y en avait eu trois et non pas deux comme on l’entend dire souvent ?

Vous serait-il revenu spontanément que la Grande Bretagne a fait son « brexit » 2 mois avant le premier confinement, que Joe Biden a été élu pendant le second confinement et qu’en janvier 2021 nous avons eu à subir le couvre-feu à partir de 18 h ?

D’autres événements, même sans rapport avec la pandémie, semblent également difficiles à situer dans le temps. Était-ce pendant la pandémie ou pas ? Exemple : le krach boursier, le meurtre de Georges Floyd, l’explosion du port de Beyrouth, l’empoisonnement au Novitchok d’Alexeï Navalny, l’assassinat de Samuel Paty etc. Était-ce avant, pendant ou après l’un des confinements ?

Pourquoi notre mémoire a-t-elle souffert des confinement ?

Ce que notent les chercheurs, c’est d’une part l’oubli de certains événements et d’autre part un flou temporel se manifestant par la difficulté à situer dans le temps ceux dont on se souvient.

Notre cerveau est capable d’enregistrer tout ce que nous vivons et qui nous concerne dans ce que l’on appelle la mémoire autobiographique (qu’on appelle aussi la mémoire épisodique quand on veut faire savant). Il est maintenant assez connu que nous avons plusieurs types de mémoire et vous avez probablement déjà entendu parler de celle-ci.

Évidemment, cette mémoire autobiographique fonctionne de pair avec la mémoire des lieux. Il va de soi qu’elle a besoin également de temporalité pour situer les événements de notre vie les uns par rapport aux autres. L’enregistrement du lieu et du moment permet de resituer un souvenir dans une chronologie ‘informations.

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Quels étaient nos repères spatiaux pendant un confinement ?

Pendant le confinement, un nombre restreint de lieux : chez soi, le lieu de travail quand on avait le droit d’y aller, un magasin… Ou encore les rues du quartier dans lequel on avait le droit de se promener une heure dans des horaires définis. Très peu de lieu, en fin de compte, à cause de l’interdiction de circuler.

Et quels étaient nos repères temporels pendant cette période ?

Pour ceux qui avaient la chance de pouvoir travailler « normalement » il y avait au moins les jours et horaires de travail. Mais cela n’a pas été vrai pour tout le monde. Beaucoup d’autres repères ont disparu, même au travail comme les réunions et es rencontres à la machine à café.

Un sacré changement !

Ainsi, les loisirs ou les sport, la piscine 2 fois par semaine, les enfants à emmener à l’école les jours de classe, au sport ou au club de loisirs le mercredi ou le samedi, le repas dominical chez les grands-parents etc., tout cela a disparu purement et simplement.

De quoi le cerveau a-t-il besoin pour situer les événements dans l’espace-temps ?

Toutes ces activités ou obligations qui rythmaient notre vie lui étaient utiles, indispensable même pour se repérer dans le temps court.. Car oui, le rythme structure notre vie et notre cerveau se sert de ces routines comme toile de fond pour situer dans l’espace et dans le temps les événements récents.

L’effet des routines

Ainsi, par exemple, nous sommes vendredi mais c’est mardi que j’ai eu ce coup de fil. Je peux l’affirmer parce que cela m’a dérangé pendant que je vérifiais pour le lendemain le contenu du sac de sport de ma fille. Elle va au club de natation le mercredi, c’était la veille, donc mardi.

Mais quand la piscine a été fermée, j’ai perdu ce type de repère pour situer un tel événement dans le temps. Était-ce lundi ou mardi ? C’est déjà un premier niveau de flou temporel, en raison de la réduction de nos repères routiniers.

L’effet des sorties de rout…ines

Mais ce n’est pas tout. Notre cerveau a besoin aussi d’événements non routiniers pour situer les événements sur une échelle de temps plus longue.

Les événements marquants lui sont donc nécessaires : accident dans la rue, retard de livraison ayant retardé un départ en vacances, annulation d’un rendez-vous, visite impromptue d’un ami, panne de voiture, rencontre avec un prof, nettoyage de printemps, communion d’un neveu, faux bond de quelqu’un sur lequel on comptait etc., notre vie en est habituellement émaillée ans qu’on prête attention à leur rôle structurant.

Pour être marquant, un événement n’a pas besoin d’être extraordinaire. Il suffit qu’il soit hors routine. Autrement dit, pour enregistrer un événement sur ligne temporelle longue, il a besoin d’une diversité d’événements hors routine ou qui viennent contrarier la routine. Parmi ceux-ci, il y a aussi les interactions sociales, les discussions, les rencontres, les disputes…

Et pendant le confinement…

Pendant les confinements, ces événements se sont beaucoup réduits. D’où un second niveau de flou temporel dont on se ressent encore aujourd’hui. Les exemples tu type de l’appel téléphonique du mardi peuvent certes être considérés aujourd’hui comme anecdotiques. Sur le moment il se peut que se souvenir du jour de la semaine où il a eu lieu ait eu de l’importance. Il reste donc que le flou temporel sur la ligne de temps courte montrait une dégradation de la performance mnésique.

Cela nous affecte encore aujourd’hui. N’ayant pas été bien situés dans le temps à l’époque, ces événements ne le sont évidemment pas plus aujourd’hui. Même si on n’en meurt pas, ne plus pouvoir situer des événements plus anciens, importants ou non, sur la ligne de temps nous fait nous sentir déficient. Nous constatons aujourd’hui des séquelles du confinement dans notre mémoire autobiographique.

Le manque de repères spatio-temporels en est- il entièrement responsable ?

Je ne parviens pas à retrouver si le krach boursier a eu lieu en 2020 ou 2021, pendant un confinement ou pas. Mais est-ce uniquement à cause des manques de repères temporels ? Essentiellement oui, mais il y un autre aspect à prendre en compte : la consolidation.

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En effet, les souvenirs sont consolidés, entre autres, par les répétitions. À savoir par les discussions à leur sujet ou même leur simple évocation avec d’autres personnes. Du fait du confinement et des restrictions de mouvement qui ont suivi, les interactions sociales ont été considérablement réduites. Il s’ensuit que les événements de cette période cumulent le flou temporel et le manque de consolidation.

Tout cela nous donne à voir en creux l’importance d’une une vie remplie d’événement routiniers et hors routines avec des interactions sociales pour avoir une bonne mémoire autobiographique.

De plus, quasiment un tiers des personnes interrogées se sont déclarées anxieuses et stressées par le confinement. Ce qui a rajouté une pénalisation supplémentaire due à la perturbation de l’attention par l’anxiété et le stress. Or l’attention est la porte d’entrée de la mémorisation.

Par des voies diverses le confinement semble bien être le coupable de la dégradation de notre mémoire. Pour la suite de l’article je vais traiter de 2 cas typiques: les étudiants et les personnes âgées.

Les étudiants face au confinement

L’état des lieux

S’il y a une catégorie de la population pour laquelle la mémoire est capacité critique, c’est bien celle des étudiants. A-t-on découvert un impact négatif du confinement sur leur capacités de mémorisation ?

Il faut se rappeler que les écoles et les Universités ont été fermées ; que beaucoup d’étudiants n’ont pas pu rentrer dans leur famille en raison d’interdictions de voyager ; qu’ils ont donc souvent été confinés dans des chambre ou des studios de 10 à 15 m2 seulement.

Des cours à distance ont fini par se mettre en place. Des professeurs se sont adaptés à l’enseignement à distance. On a vu fleurir des cours « en live » même sur Facebook, Pour ceux qui ont pu y avoir accès, c’était une façon de se relier avec leurs études.

Ils ont parfois bricolé, comme succédanés aux interactions directes avec les camarades d’études, des « rencontres » au téléphone ou en visio collective. Chacun pouvait alors travailler en voyant sur écran les autres faire de même. Des moyens, des plateformes de type Zoom ou Meet ont connu un succès phénoménal. Tout était bon pour se « rencontrer ».

Les effets attendus

Il reste que l’isolement physique était bien là. L’effet produit par le manque de contact réel n’a été que réduit. La perception d’être isolé a eu un effet dépressif sur l’humeur. Par ailleurs la privation de mouvement, le flux d’informations négatives, le décompte journaliers des morts etc. ont eu un effet stressant.

L’impression ressentie que cela ne finirait jamais a créé une véritable détresse psychologique chez beaucoup d’étudiants. Et cela, même chez des sujets solides, sportifs, avec de fortes interactions sociales ont connu cela aussi.

Par ailleurs, dépression de l’humeur et stress forment un cocktail dangereux pour la cognition en général et pour la mémoire en particulier. Nombres d’études ante-Covid ont déjà documenté les atteintes à la cognitions et à la mémoire en particulier dues au stress, à l’anxiété et à l’isolement. On imaginait donc une catastrophe pour les examens.

La réalité du terrain

C’était clair on allait avoir un taux d‘échec élevé aux examens. Eh bien, cela ne s’est pas produit… C’est même le contraire qui est arrivé.

Pour le bac il a été décidé que seules les notes du contrôle continu compteraient. Il y en avait peu mais au moins elles avaient été obtenues dans de bonnes conditions. C’est sans doute l’explication majeure du taux de réussite obtenu..

Pour d’autres examens, cela a été plus contrasté. Certains ont été passés à domicile, sans grand contrôle des conditions de passation. Parfois la difficulté des épreuves a été parfois augmentée pour compenser les possibles tricheries…  ! Il y a eu dans ces cas-là de grosses déceptions, mais souvent d’excellents résultats.

On s’est même demandé si les examinateurs n’avaient pas fait preuve de mansuétude en raison des conditions d’étude dégradées. Cela ne semble pas le cas. Il me semble que les étudiants confinés avaient pu aussi consacrer plus de temps à leurs études et que cela a pu compenser l’effet du cocktail dépression de l’humeur et stress.

Cependant, et indépendamment de la question des examens, pas mal d’étudiants se sont plaints de lacunes dans leurs connaissances à la rentrée suivante. Cependant, selon les statistiques de la Sorbonne, le taux de réussite en licence des inscrits en 2020 et en 2021 n’a pas particulièrement chuté. On doit donc s’interroger:

  • soit ces lacunes étaient imaginaires,
  • Soit elles sont été compensées dès la première année de licence…
  • Soit elles n’ont eu aucune importance pour la 1ère année de licence !
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Les personnes âgées face au confinement

De ombreuses statistiques existent

C’est le plus gros crève-cœur de cette période. Déjà, elles ont fourni le plus gros contingent de décès. Ensuite beaucoup d’entre elles se sont étiolées, faute de contacts familiaux. Et beaucoup sont décédées de la Covid 19, seules ou sans contacts familiaux, notamment dans les Ehpad.

Plusieurs études statistiques sur les plus de 60 ans évaluent que plus de 700.000 personnes sont restées sans aucun contact familiaux pendant cette période. Et même plus de 600.000 sans jamais avoir pu évoquer ce qu’elles vivaient.

Près de 6 millions de plus de 60 ans ont souffert de solitude, surtout quand elles ne pouvaient pas voir les personnes de leur famille. Ce qui est spécifique aux personnes âgées, c’est que même près le « déconfinement » elles sont eu tendance à rester confinées. Ainsi, 13 millions d’entre elles ont limité les sorties quand elles sont devenues possibles. Et 800.000 de ces personnes ne voulaient pas sortir du tout…

De nombreux effets du confinement sur leur santé sont documentés

Pour les seniors il parait presque indécent de se préoccuper de l’effet des confinements sur leur cognition ou leur mémoire. Car ces événements ont eu un très grand nombre d’impacts dans beaucoup d’autres domaines.

Notamment dans le domaine de leur santé physique : affaiblissement musculaire, perte de motilité, douleurs chroniques dues aux restrictions de mouvements, affaiblissement du système immunitaire, augmentation des périodes de maladie…

On a vu dans cette période une augmentation importante des maladies chroniques telles que diabète et l’hypertension. Mais aussi une augmentation des carences nutritionnelles.

Mais aussi dans le domaine de la santé psychique : dépression, apathie, anxiété ont été en hausse pendant et après les confinements. Sans oublier le stress avec ses effets sur l’état physique : raideurs et douleurs musculaires, maux de têtes, douleurs abdominales.

On voit que c’est du lourd.

Les effets du confinement sur leur santé mentale et la cognition sont moins documentés

Mais je m’autorise tout de même à traiter le sujet. Il faut savoir que les interactions sociales et familiales sont le fer de lance de l’entretien des circuits neuronaux. Supprimez-les et aussitôt ces derniers déclinent. Beaucoup d’observations éparses rapportent d’ailleurs une baisse importante et rapide des capacités cognitives, parfois confondue avec une atteinte par la maladie d’Alzheimer.

Ça n’est pas la même chose. Dans le cas des confinements c’est surtout la réserve cognitive qui est atteinte. Mais cette disparition de circuits neuronaux qui ne sont plus utilisés faute d’interactions peut évidement faire le lit d’une maladie neurodégénérative. Autrement dit, si elle doit se produire, elle se produira plus tôt.

Je n’ai pas trouvé d’étude comparatives sur la mémoire des seniors avant, pendant et après le confinement. L’isolement social et les problèmes de santé physiques et psychiques ont certainement paru plus importants aux yeux des chercheurs. Mais il suffit de se rappeler l’impact sur la population générale. Il serait étonnant que les personnes âgées aient pu mieux résister !

Il est probable aussi que les effets sur la mémoire se sont noyés dans le flot des autres impacts. Sans oublier qu’il est souvent considéré comme normal qu’une personne âgée ait des problèmes de mémoire. Comment mesurer si ce que l’on constate a été majoré par les confinements ou si on aurait constaté la même chose si ces derniers n’avaient pas eu lieu ? On n’a rien pour évaluer cela.

Je compléterai cet article si je trouve des études documentées sur la question.

Allons-nous vers un oubli des confinements ?

J’ai commencé cet article sur la question des souvenirs flous des événements qui se sont produits pendant les confinements. Je crois bien devoir le terminer sur l’oubli des confinements eux-mêmes.

L’être humain a en effet globalement tendance à vouloir oublier les événements négatifs. Bien que le Sars Cov 2 (ou ses mutations) rôde toujours, la plupart des gens semble vouloir faire comme si ce n’était pas le cas. Les comportements de protection ne sont plus de mise car dans beaucoup d’esprits la Covid 19 est déjà loin. Pourtant elle est toujours là.

Compte tenu de l’augmentation de la prise de risque qui en découle il est heureux que la maladie soit aujourd’hui contenue et que la vaccination soit efficace. D’après les autorités sanitaires 80 % des atteintes graves se produisent chez les non vaccinés.

Pour autant, même en supposant une mutation du virus capable de faire autant de dégâts qu’en 2020-2021, il est peu probable qu’on recourrait de nouveau au confinement. Le souvenir larvé du mal-être de cette période referait alors probablement surface avec une vigueur que peu de gens accepterait de suive les consignes.

SI je ne e trompe pas sur ce point, j’en conclurais que, même si les souvenirs des événements de la période sont flous, le souvenir du mal être de l’époque restent bien restent bien actifs dans nos mémoires. On oublie, certes, mais quelque chose en où se souvient…