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Avouez-le, vous avez trop bu hier soir et cette nuit…
Vous vous êtes réveillé à 15 h avec un mal de crâne carabiné. Vous êtes vaseux, vous ne savez plus trop ce qu’il s’est passé. Ah, ça y est, ça vous revient, bien sûr, le dîner d’hier.. A cette évocation vous ne pouvez vous empêcher de sourire. Fameuse la soirée.! Ah, mais au fait, qu’est-ce qui vous avait fait tant rire ?
Vous demandez à votre partenaire. Il ou elle est déjà debout depuis un moment. Pas le genre à trop boire, c’est pratique pour le retour, quand il faut souffler dans le ballon. Là, vous constatez très vite que vous n’avez pas les mêmes souvenirs. On vous dit qu’il y eu une seconde partie de la soirée, vous êtes allés en boite.
Vraiment ? Vous êtes un peu incrédule, mais vous savez que ça vous est déjà arrivé de ne pas vous souvenir.. D’ailleurs, vous avez beau vous torturer les neurones, rien à faire… Oubli total ! Il vous revient bien que vous vous étiez fait virer du resto, pour avoir trop bu et gêné la clientèle. Vous êtes sorti avec la bouteille, ça d’accord, vous l’avez payée non ? Ensuite… ensuite heu… un trajet en voiture, oui, vous avez quelques bribes de ça. Ensuite vous vous êtes réveillé sur la carpette à côté du lit.
Votre partenaire raconte une toute autre histoire. Vous êtes tous allés ensuite en boite de nuit. Vous avez éclusé toute la bouteille pendant le trajet. Arrivé à destination, il a fallu quasiment vous porter, on ne vous a laissé entrer que sur promesse que vos amis allaient vous surveiller. En fait, à peine arrivé, vous avez dormi affalé sur la table pendant presque deux heures.

Que s’est-il donc passé ?
Mais vous ne vous rappelez pas. Une fois réveillé, vous êtes allé vous déchaîner sur la piste. Vous avez encore bu un peu mais vous n’aviez pas l’air trop saoul. Vous avez aussi beaucoup parlé, déconné, fait le boute-en-train, vous étiez encore bavard en rentrant à la maison. Mais vous ne vous rappelez pas de ça non plus… Rien à faire, c’est le trou noir.
Comme cela vous était déjà arrivé une ou deux fois, vous savez d’avance que vos amis vont le confirmer. Alors d’accord, vous êtes prêt à reconnaître tout cela comme véridique. En même temps vous avez la drôle de sensation qu’il vous manque quelque chose. Les autres se rappellent mais pas vous…
Comment l’alcool procède-t-il donc pour vous escamoter ainsi une demi douzaine heures de votre vie. Et c’est irrécupérable, vous le savez par expérience. Vous avez bien les souvenirs du resto (un peu brumeux quand même sur la fin) mais aucun de la boite de nuit. Tiens ! on vous montre des photos et là il n’y a pas de doute, c’est bien vous là, en train de danser la gigue sur une table…
Je vois que vous n’êtes pas trop fier quand même… C’est le moment de la gueule de bois mentale, une sorte de honte diffuse, un sentiment de dédoublement ou de déconnexion de vous même. ça parait irréel mais vous savez que c’est vrai. Peut-être cela vous intéresserait-il de comprendre ce qu’il s’est passé dans votre cerveau ? Eh bien, allons donc voir ce que dit la science sur cette amnésie alcoolique.

Le « blackout » ou l’amnésie alcoolique : la mémoire en mode « pause » ?
Vous n’êtes pas très sûr d’avoir fait ça, hier soir ?
Ce qui vous est arrivé hier est un grand classique. Vous ne vous rappelez pas ce que vous savez fait ou dit et vous ne savez pas où vous êtes allé. Vous l’apprenez par les autres. Ce phénomène est bien connu, on appelle ça communément des trous noirs. On parle parfois d’amnésie alcoolique. On dit aussi black out alcoolique, ça fait nettement plus chic.
Ce qui est nettement contre intuitif c’est que vous ne vous rappelez pas, alors que les autres vous disent que vous étiez en pleine forme. Enfin, façon de parler. Mais vous discutiez, vous blaguiez, vous répondiez aux questions avec aplomb. Bref, vous aviez l’air tout à fait conscient de ce que vous faisiez… Alors pourquoi ne vous le rappelez-vous pas ?
En vérité, oui vous étiez conscient. Vous avez même reconnu, vous dit-on aujourd’hui, que vous aviez bien trop bu d’alcool mais vous vous sentiez plein d’énergie. A une question insistante d’un ami, vous avez même répondu que oui, bien sûr, vous saviez que vous ne pourriez pas conduire votre voiture. Oui, vous vous rendiez compte aussi de votre emphase, de votre hypomanie.
Cela, vous l’avez totalement oublié, me dites-vous. Aucun souvenir, absolument rien, nib, nada ! Mais bon sang, puisque vous étiez conscient pourquoi ça ne vous revient pas ? C’est flippant ça ! On vous a volé une partie votre histoire, une partie qui devrait se trouver dans votre mémoire autobiographique. C’est comme si elle n’y avait jamais été stockée. Si encore vous aviez été dans le coma, ça s’expliquerait !
Vous n’avez pas fait un coma éthylique
Eh non, c’est sans rapport. Un « blackout » alcoolique, ce n’est pas s’évanouir, ce n’est pas un coma. Vous étiez bel et bien éveillé, vous parliez, marchiez, dansiez, peut-être même flirtiez ou chantiez à tue-tête. Rien de très original, mais enfin, vous étiez présent. C’est votre mémoire qui a décroché, pas votre conscience.
Votre processus de mémorisation s’est arrêtée. Comme un magnétophone mis en pause : il n’y a plus d’enregistrement, c’est aussi simple que ça.
Avez-vous fait une amnésie antérograde ?
Ce terme désigne une amnésie qui consiste à oublier, à dater d’un événement particulier, les nouveaux souvenirs au fur et à mesure qu’ils se forment. Contrairement à l’amnésie rétrograde qui consiste à oublier à des souvenirs déjà formés. Ce sont les deux types d’amnésie connus.
A priori, il semblerait que vous soyez victime d’une amnésie antérograde. Mais quel serait l’événement déclenchant ? En fait, la recherche a désormais montré qu’il n’y a même pas d’enregistrement en mémoire. Peut-on alors parler d’amnésie ? Pour oublier, encore fait-il avoir quelque chose en rayon à oublier !
De plus, alors que l’amnésie antérograde peut être incurable (maladie d’Alzheimer), chez vous ça ne concerne qu’une période de temps limité. Depuis que vous vous êtes réveillé, vous pouvez de nouveau retenir des informations, le processus de mémorisation s’est remis en route.
Il en résulte que le terme habituel d’amnésie alcoolique est bien mal choisi. Derrière lui se cache en fait une réelle incapacité de votre cerveau à créer de nouveaux souvenirs. En gros, vos perceptions du moment ne passent pas du stockage temporaire au stockage permanent. On suppose que vos perceptions ont quand même atteint votre mémoire à court terme. Cependant, il faut se rappeler qu’elle ne dure que quelques secondes.
Si la mémoire de travail, chargée du passage à long terme, ne fonctionne pas, rien ne passe à long terme. El la mémoire à court terme se vide au fur et à mesure qu’arrivent de nouvelles informations. Il est donc normal que vous ne retrouviez aucun souvenir de la deuxième partie de soirée d’hier. Pour être cohérent, à partir de maintenant j’utiliserai uniquement le terme de blackout.
Cliquez ici pour en savoir plus sur le passage de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme.

Comment l’alcool pirate votre mémoire
1- Il met KO l’hippocampe, le grand ordonnateur de votre mémoire
L’hippocampe est une zone du cerveau qui, en coupe, ressemble à un… hippocampe. Ben oui, pourquoi croyez-vous qu’on l’appelle comme ça ? C’est un peu le régisseur ou le chef d’orchestre de votre mémoire. Pas que. C’est aussi la zone de l’orientation dans l’espace, par exemple. Pour ce qui nous occupe, c’est surtout la zone de la mémoire à court terme, qui comprend la « mémoire de travail » qui se charge d’envoyer en mémoire à long terme ce qui mérite d’être retenu et le reste aux oubliettes.
Eh bien, il se trouve que l’hippocampe tient très mal l’alcool. Même à dose réduite, l’alcool le ralentit, le perturbe et lui donne un sérieux coup de mou. Rien d’étonnant donc à ce que l’alcool à fortes doses le paralyse carrément. Et quand il est engourdi l’ensemble des fonctions qu’il assurent sont perturbées. Avec une mention spéciale pour la mémorisation qui, elle, est totalement interrompue à partir d’une certaine dose.
Cette dose est variable selon les personnes et selon leur masse corporelle. Elle est plus faible chez les femmes, dont le corps est plus « sec » (55 % d’eau contre 65 % chez les hommes). Plus vous êtes « sec » et plus votre masse corporelle est faible et plus vous pouvez être sujet au black out. On estime que le risque est majeur quand on atteint 2 à 3 g d’alcool dans le sang.
Toutefois, nous verrons tout à l’heure qu’il n’y a pas que la dose d’alcool qui compte.
2- Il sabote les transmissions inter neuronales
En effet, l’alcool perturbe les récepteurs NMDA. Qu’est ce que c’est ? Des protéines réceptrices d’un neurotransmetteur clé pour la communication entre les neurones : le glutamate.
Selon une étude, l’ouverture au glutamate de ces récepteurs est déjà réduite de 20 à 30 % pour un taux d’alcool dans le sang de 0,16 %. Ce n’est évidemment pas un taux suffisant pour créer un black out. Mais il va de soi que plus ce taux monte, plus ces récepteurs bloquent le glutamate, et plus la communication inter neuronale diminue. Et moins on mémorise. Si le blackout se produit, vous ne mémorisez plus du tout.
A noter que l’alcool n’a pas de récepteur spécifique dans le cerveau. Il s’attaque donc globalement à toutes les zones cérébrales. D’où les maux de tête, la désorientation, la perte de repères dans l’espace, les difficultés d’élocution, les pertes d’équilibre, la diminution des réflexes etc.
L’atteinte de la mémoire est donc une atteinte parmi d’autres. Mais c’est le sujet de cet article. A noter que sous alcool certaines facultés se maintiennent mieux que d’autres. Par exemple les actions de parler, danser et mémoriser, ne se dégradent pas à la même vitesse. Il semble que l’activité de la sphère cognitive (apprendre, mémoriser) soit rapidement dégradée.
Toutefois, les souvenirs déjà mémorisés à long terme peuvent rester accessibles… alors même que votre blackout est déjà en action. C’est ce qui vous permet de continuer à discuter alors que pourtant vous ne mémorisez plus rien. Evidemment, ce n’est vrai que pour une discussion « légère ». Ce serait une autre paire de manches pour une discussion sérieuse ou académique !

Blackout complet ou fragmentaire ?
Ce n’est pas que je veuille couper les cheveux en quatre. C’est simplement qu’on a remarqué qu’il est loin d’être toujours total.
Le blackout en bloc : aucun souvenir
C’est la forme que j’ai évoquée dès le début de cet article. En fait, ce n’est pas la plus fréquente. On sait de source certaine (les études scientifiques) qu’il n’y a pas eu d’encodage, donc pas de mémorisation. Toutes les tentatives de se souvenir, même avec des indices sont vouées à l’échec.
Les personnes concernées sont uncrédules si c’est la première fois que ça leur arrive. Elles peuvent avoir l’impression d’avoir été somnambules mais elles étaient bien réveillées. Aujourd’hui, comme tout se capte au smartphone, il n’est pas très compliqué de les convaincre que les événements ont bien existés. Ce qui ne manque pas de déclencher une certaine angoisse chez certains.
Comme je l’ai expliqué plus haut, ce n’est pas une amnésie, ce qui m’a conduit à ne plus utiliser le terme d’amnésie alcoolique.
Le blackout fragmentaire : des souvenirs épars
Vous savez, ce genre de soirée où des bribes de souvenirs vous reviennent, mais pas facilement. Vous parvenez plus ou moins à les remettre en ordre et à reconstituer des pans de souvenirs. Mais d’autres manquent toujours à l’appel. Est-ce à dire que l’hippocampe fonctionnerait par à-coups ?
Curieusement, je n’ai pas trouvé d’étude expliquant ce type de blackout, pourtant le plus fréquent. Peut-être mériterait-il, celui-là, l’appellation d‘amnésie partielle. Si certains souvenirs reviennent dégradés, c’est tout de même la preuve qu’ils sont passé dans la mémoire à long terme, probablement dans cet état dégradé. Il y a donc eu un fonctionnement de la mémoire de travail. Incomplet et de mauvaise qualité, certes.
Mais pourquoi des pans manquent-t-ils ? Si les pans restitués concernent des moments différents de la situation partiellement restituée, cela suggère un fonctionnement de l’hippocampe à éclipses, en stop n’go. Je n’en sais pas plus à ce jour.
Quels facteurs déclenchent un blackout ?
Nous avons vu que le taux d’alcool dans le sang est prédictif de la possibilité de faire un blackout. Mis j’ai laissé entendre que ce n’est pas le seul facteur. En effet.

Le grand coupable : la montée rapide de l’alcool dans le sang
On a remarqué que les habitués du binge drinking étaient particulièrement susceptibles de faire un blackout. Et les études confirment que la vitesse d’absorption joue le premier rôle en la matière. Comment a-t-on vérifié ?
Il est évidemment délicat de faire des expériences scientifiques avec des sujets acceptant de s’alcooliser pour satisfaire la science… On a donc fait des statistiques par interviews les lendemains de « fête ». Savez-vous quelle population ont été particulièrement étudiées sous cet angle ? Celles des étudiants en médecine… En France comme à l’étranger il semble que ce soit la meilleure !
Les résultats sont indiscutables. Par ailleurs, les binge drinkers sont les champions du blackout. Boire 10 bières de 33 cl à 6 degrés une demi-heure vous charge de 180 grammes d’alcool en peu de temps. Regardez le seul critique sur le schéma ci-dessus, vous allez tout de suite comprendre de quoi on parle.
On a aussi demandé aux participants de ces études, dans les questionnaires post-fêtes, ce qu’ils avaient mangé avant de s’alcooliser. Résultats : ce sont les binge drinkers à jeun qui ont fait les meilleurs scores !
Autre constante, les femmes, à consommation égale, sont plus à risque que les hommes.
Si vous êtes une femme, attention !
Pour obtenir un blackourt alcoolique on voit bien que le taux l’alcool n’est pas aussi prédictif que la combinaison taux d’alcool + vitesse d’absorption. Cette combinaison est un cocktail explosif. Surtout si vous êtes une femme. A poids égal et à consommation égale vous pouvez atteindre un taux d’alcoolémie bien plus élevé que celui d’un homme. J’ai déjà indiqué plus haut la teneur corporelle en eau comme première explication. Mais il n’y a pas que ça.
Les femmes ont dans l’estomac moins d’alcool déshydrogénase (ADH) capable de faire une « première passe » de dégradation de l’éthanol avant qu’il ne passe dans le sang. Elles ont aussi un pourcentage de tissu adipeux plus élevé que les hommes Mécaniquement, cela réduit à poids égal la masse musculaire qui bénéficie de la circulation sanguine. C’est probablement pourquoi, toujours à poids égal, le volume sanguin est légèrement plus faible chez les femmes. On note également un effet hormonal sur la dégradation de l’alcool en période prémenstruelle (absorption plus rapide et dégradation plus lente).
Le résultat, c’est un passage plus rapide de l’alcool dans le sang et un taux d’alcoolémie en moyenne plus élevé que chez un homme. Pour une consommation identique et à poids égal, cela réprésente couramment un taux plus élevé de 20 %. C’est loin d’être négligeable. Ensuite, pour ne rien arranfer, la dégradation de l’alcool est plus lente.
Et si on terminait sur une note optimiste ?
Je fais de la vulgarisation scientifique, pas de la prévention. Cet article ne concerne pas les effets de l’alcool sur l’organisme et le fonctionnement cérébral, encore moins les moyens d’éviter le blackout. D’ailleurs ils se devinent aisément… C’est juste un article sur le blackout de mémoire. Je l’écris en période de vacances, et même de canicule. Ce qui m’amène à boire… de l’eau.
Il fait beau, le soleil brille. Hydratez-vous et passez de bonnes vacances.
Quand à moi, je vais me faire un thé. Santé !