Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

Connaissez-vous la méthode du parcours familier ? Probablement pas encore, mais je vais combler cette lacune. C’est très pratique pour retenir des listes.

Au fait, pourquoi retenir des listes ?

Il y a quelques semaines je vous parlais de la méthode des lieux. On dit aussi (ça fait plus chic) la méthode des loci. Et sans mettre de s à la fin puisque c’est déjà un pluriel. Le pluriel de locus (lieu, endroit) en latin. Je vous dit ça juste pour montrer ma science. Chacun ses petits plaisirs hein ?

Comme je le disais dans cet article-là, tous les champions de mémoire s’en servent, sans exception. Les « artistes de la mémoire » (qui mélangent les performances mnésiques avec le mentalisme) également; sous une forme ou sous une autre. Mais c’est un peu lourd à manier pour tout un chacun..

Aussi, pour la vie courante je vous avais proposé des déclinaisons plus légères: la méthode de la chambre et celle du parcours familier. Et puis, je vous avais annoncé en fin d’article mon intention de revenir plus en détail sur ces déclinaisons. Eh bien voilà, aujourd’hui c’est le tour du « parcours ».

« Tout ça pour retenir des listes. Mais quel intérêt ? On peut les écrire non ? »

Oui. Et c’est même conseillé de le faire avant de chercher à les retenir. Mais voici quand même quelques bonnes raisons de les retenir… sans papier ! Ce sont en fait des situations dans lesquelles se passer de papier de notes donne plus de liberté, plus de spontanéité, suscite plus d’intérêt chez les autres, et peut vous sauver dans certaines situations.

Quelques exemples

          ¤ Liste de courses: l’intérêt  est d’entretenir, d’améliorer sa mémoire et de pas se trouver pris de court si la liste est restée à la maison… Même s’il parait plus simple d’avoir la liste dans sa poche, mémoriser une telle liste (ou une partie seulement si elle vous parait trop longue) est toujours un excellent exercice.

          ¤ Liste de chapitres: utilité pour retenir le plan d’un cours. Evidemment, c’est valable aussi bien pour l’enseignant que pour le lycéen ou l’étudiant. Pour le premier: liberté de parole tout en regardant la classe. Personne ne passionne les autres en se penchant sur ses notes. Et pour l’étudiant interrogé: la maîtrise du plan induit la maîtrise des contenus (voir ‘La méthode en 5 points pour bien mémoriser un cours et briller à l’oral« .

          ¤ Liste de points à aborder ((président d’association, conférencier, cadre en réunion, exposé scolaire). A priori, chacun d’eux connait son sujet et n’a pas besoin de lire un texte. Mais sauter un point est vite arrivé. Surtout si l’on est amener à exposer son sujet de façon imprévue. Vous pouvez vous reporter à l’article évoqué juste au dessus. Par ailleurs, ce qui est valable pour un cours est tout aussi valable pour des exposés.

          ¤ Listes aléatoires: il s’agit-là de listes d’exercices, destinées à faire travailler la mémoire. Ce sont généralement des listes incongrues, volontairement sans queue ni tête. Mais il n’y a rien de mieux comme exercice de base pour faire carburer vos neurones et vous créer de nouvelles connexions neuronales…

Le parcours de mémoire, comment ça marche ?

Petit rappel: dans la méthode des loci, Il s’agit d’associer une élément à mémoriser avec un « lieu », un endroit dans un bâtiment ou un palais. D’où l’expression « palais de mémoire » que vous connaissez probablement. La série « Sherlock » l’a d’ailleurs popularisé.

Dans la « chambre de mémoire » on utilise les éléments de construction et l’ameublement. Je parle alors de « points d’ancrage » plutôt de que « lieux ».

Dans le parcours familier, la notion de lieu est plus opportune puisqu’on se déplace de lieu en lieu. Malgré tout, on va aussi utiliser des éléments de mobilier… urbain. Ce qui fait qu’on va mélanger des lieux (carrefour, magasin d’alimentation, passage souterrain…) et des objets: lampadaire, parcmètre, bloc poubelle fixe, boite aux lettres de La Poste, panneau publicitaire…).

Mais, lieux ou points d’ancrage, peu importe le nom, pourvu qu’on ait le résultat.

On mémorise à pied ou en voiture?

En revanche, ce qui importe c’est d’être observateur et de bien connaitre son parcours.La notion de parcours familier suppose qu’on l’emprunte souvent. C’est traditionnellement le cas du trajet entre la maison et l’école où vous menez vos enfants. Ou celui que vous faites tous les matins pour acheter le pain. Ou pour aller au travail si vous avez la chance de pouvoir y aller à pied.

On m’a posé la question « Est-ce qu’un parcours familier en voiture ça marche ? ». Ça peut. La difficulté, c’est que l’échelle n’est pas la même. En effet, à cause de la vitesse on n’observe pas les choses autant en détail.

Ainsi, à pied on peut considérer plusieurs points d’ancrage sur moins de 10 mètres. Par exemple: la boite aux lettre jaune de la poste, le carrefour, le feu tricolore, le lampadaire et le fleuriste.Si vous passez par là souvent et depuis longtemps à 3 km à  l’heure vous avez eu tout le temps d’observer tout ça.

En voiture vous verrez probablement aussi le fleuriste, peut-être la boite aux lettres. mais vous zapperez probablement le lampadaire et peut-être même le feu qui va tellement de soi pour un automobiliste. En revanche vous serez peut-être sensible à des choses qui en frapperaient pas un piéton: une priorité à droite traîtresse, un ralentisseur tape-cul, des rails de tramway traversant…

Mais, oui, même un parcours automobile peut convenir. A pied ou en voiture, l’important est de décider quels sont les éléments à retenir. Car vous n’utiliserez évidement pas tous les éléments disponibles. Et, surtout, vous devez connaitre sur le bout des doigts vos points d’accrochage.

Comment accrocher les éléments à mémoriser ?

Rappelez-vous Cicéron: ‘l’ordre des lieux conserve l’ordre des choses« . Donc il vous faut avoir une liste ordonnée des points d’ancrage que vous allez utiliser. C’est un prérequis.

« Quoi ? Il faut apprendre une liste par cœur pour mémoriser d’autres listes ? »

Bravo ! Magnifique raccourci. Vous m’enlevez les mots de la bouche…. Oui bien sûr. Mais attention, c’est la seule liste que vous aurez à apprendre, et qui vous dispensera d’apprendre par cœur toutes les autres. Et ad vitam aeternam (là c’est Cicéron qui déteint sur moi). .

L’accrochage, pour être efficace, doit répondre à ces deux critères:

  • être visualisable. Cela signifie que vous devez faire mentalement une image qui lie point d’ancrage et l’élément à mémoriser.
  • être « anormal », c’est à dire que cela doit sortir des sentier battus et être le plus possible extraordinaire, loufoque, inconvenant, incroyable etc.

Mais, revenons à votre parcours familier. Puisqu’il est… familier, il est assez facile à mémoriser. Le fait que plusieurs points d’accrochage puisse se trouver côte à côte est un plus. Par exemple, au carrefour de deux rues vous avez souvent des feux de circulation, un lampadaire, voire une corbeille à papier attachée à ce dernier.

Votre parcours familier est à mémoriser une fois pour toute avec les éléments dans l’ordre. Vous pouvez parfaitement vous contenter d’une dizaines de points remarquables. Vous y accrocherez alors une dizaine d’éléments à mémoriser, ce qui suffit souvent.

Du moins, dans la grande majorité des cas. La plupart du temps, ces 10 points d’ancrage ne « consommerons » qu’une petite partie de votre parcours. Vous aurez donc de la réserve… Rien ne vous empêchera ensuite de mémoriser le tronçon suivant si vous avez besoin de mémoriser de plus grandes listes. Ou le même parcours mais au retour, sur le trottoir d’en face.

Notez aussi que, si vous déménagez, vous n’avez pas besoin de réapprendre un nouveau parcours. Vous pouvez garder le même. A la longue il perdra de la réalité, mais il conservera son efficacité tant que vous l’utiliserez.

D’abord vos loci…, vos points d’ancrage quoi.

Maintenant, voyez concrètement comment vous pouvez procéder. Pour l’exemple, supposons que votre parcours soit le suivant dès que vous sortez de votre immeuble:

  • le portail de votre immeuble
  • puis le carrefour
  • le lampadaire
  • la corbeille à papier
  • le bureau de poste
  • la boulangerie
  • le porche d’un immeuble ancien
  • l’horodateur,
  • le magasin de téléphonie,
  • la pharmacie,
  • la banque
  • le carrefour suivant

Il n’est pas inutile de faire votre trajet calepin à la main. Si vous avez fait d’abord un premier jet « de tête »; il est probable que vous allez trouver plus d’éléments remarquables sur le terrain. Faut-il les rajouter à votre liste? Si ils sont suffisamment remarquables, vous pouvez. Mais attention; si nous n’y avez pas pensé spontanément, assurez-vous bien de le mémoriser à la bonne place.

Cela dit, une fois appris, ce n’est plus qu’un parcours mental, de mémoire. Il ne s’agit évidement pas de parcourir ensuite les rues pour vous rappeler ce que vous y avez déposé en pensée…

Ensuite votre liste:

Pour commencer, je prends une liste de courses. Vous pourrez toujours la garder dans la poche les premières fois si vous craignez de ne pas bien maîtriser le système. Voici cette liste théorique:

  • petits pois
  • Roastbeef
  • pain
  • livre
  • œufs
  • farine
  • journal
  • cornichons
  • mayonnaise

L’expérience m’a montré que lorsque la liste est établie il faut se forcer à accrocher le premier élément au premier point d’ancrage. Evidemment il peut arriver que l’association paraisse plus facile à faire avec le deuxième ou le troisième…

Vous pouvez donc être tenté de ne pas commencer au début du parcours. Mais il faut vous rappeler où vous avez commencé….Aussi, je trouve préférable de se « forcer » à trouver une association avec le premier point du parcours.

La raison est que si l’accrochage ne va pas de soi, c’est une raison de plus de faire quelque chose qui sort vraiment du concevable. Comme la tante Adèle à califourchon en haut d’une porte… Voyez l’article déjà cité « la méthode des loci est-elle faite pour vous? « …

Par ailleurs, si les courses se font toutes dans le même magasin, une bonne discipline est de les noter dans l’ordre où les choses vont se présenter. Si vous connaissez l’organisation du magasin, ça ne devrait pas poser de problème.Si vous devez entrer dans plusieurs magasins, regroupez les items par magasin bien sûr. Quoi qu’il en soit, l’exemple ci-dessus étant théorique, vous auriez donc utilisé un autre ordre.

Et enfin les accrochages

Voici ce que vous pourriez faire:
  • portail: Les barreaux verticaux sont décorés par des guirlandes de petits pois qui flottent au vent
  • carrefour: au milieu,un rond-point miniature constitué par un empilement de rosbifs.
  • lampadaire: en forme de pain géant bien doré
  • la corbeille à papier déborde de livres qui s’talent jusque sur la chaussée
  • le bureau de poste: un personnage met dans la boite des œufs timbrés, les adresses écrites directement dessus.
  • la boulangerie: une avalanche de farine s’en échappe brusquement, vomissant les clients sur le trottoir
  • le porche d’un immeuble ancien est bondé, des tas de gens y lisent des journaux de toutes les tailles
  • l’horodateur fonctionne avec des cornichons qu’il faut introduire dans un trou rond pour obtenir le ticket
  • le magasin de téléphonie présente ses téléphone en vitrine baignant dans des pots de mayonnaise
N’hésitez pas à en faire trop

Comme vous le voyez il ne faut pas hésiter à être loufoque. C’est la garantie d’un rappel plus facile. Dites vous bien que toutes les association sont possibles, quitte à se forcer un peu. Si je prends l’exemple des petits pois, voilà e que ça aurait pu donner si ils avaient été classés autrement dans la liste.

  • carrefour: un océan de petits pois sur la chaussée, les véhicules patinent et dérapent dans la purée… de pois.
  • le lampadaire pleure des petits pois qui font du bruit en tombant sur les voiture comme de la grêle.
  • corbeille à papier: en forme de petit pois géant
  • bureau de poste: un des guichets est consacré à la vente de petit pois en vrac
  • la boulangerie affiche en vitrine des pains vert en forme de gousse de petits pois
  • le porche est bouché par un mur de boite de petits pois
  • l’horodateur délivre une pognée de petit pois (comme les machines à boules de chewing-gum)
  • la téléphonie: pour entrer il faut passer un rideau de porte dont les chenilles sont des petits pois enfilés
  • Etc..

Vous pouvez toujours associer tout avec n’importe quoi dans une image bizarre ! Il suffit de vous autoriser à déc… heu à débloquer.

Retour au champion de mémoire Cicéron

Si on vous avait dit un jour que vous feriez les courses avec Cicéron, vous ne l’auriez pas cru. Mais, vous voyez, tout arrive…  L’ordre des lieux conserve l’ordre des choses… En suivant votre parcours familier dans l’ordre, vous allez retrouver les choses dans l’ordre où vous les avez accrochées. .

Maintenant, il vous suffit de suivre mentalement votre parcours pour retrouver, à la suite les uns des autres, tous les items de votre liste..Cependant, une question, me taraude: Cicéron faisait-il les courses lui-même ?

Non? Alors à quoi destinait-il donc la méthode des loci ? L’homme passait pour un orateur hors pair. Il nous est d’ailleurs connu, entre autre, pour son traité d’art oratoire (De oratore). Il s’était fait connaitre auparavant comme avocat. Et si, à Rome, on apprenait à écrire sur des tablette de cire, je doute fort qu’au prétoire on pouvait amener ses notes sous la forme d’une brouette de tablettes.

Donc, il fallait mémoriser. J’ai déjà écrit quelque part que la mémoire avait pu être victime de l’écriture. Mais pas à cette époque là. On ne pouvait pas amener ses notes, il fallait tout avoir en tête. Ne croyez pas que les orateurs romains, au Sénat ou ailleurs, improvisaient constamment. Bien sûr que non. Ils faisaient des discours très construits.

Et Cicéron explique justement (dans le chapitre du De oratore consacré à la mémoire) comment faire pour retenir les points à traiter dans une intervention orale. Cela se fait en trois temps, comme une valse:

  • faire une… liste des points à traiter
  • les transformer en images
  • accrocher ces images aux loci de son palais de mémoire.

Vous pouvez faire la même chose pour un exposé par exemple. Sauf que vous ferez les accrochages le long de votre parcours.

Mémoriser le plan d’un exposé…

D’abord la liste des notions dans l’ordre

Prenons d’abord le cas d’un exposé scolaire. Par exemple sur la notion de liberté. Imaginons les « chapitres » suivants:

  • liberté, notion générale
  • liberté de pensée
  • liberté religieuse
  • liberté de la presse

Ensuite la mise en images

Je ne vous garantis pas que cela épuise le sujet mais c’est juste pour l’exemple. Cicéron nous invite à mettre ça en image. Voici un exemple de ce que ça pourrait donner. Attention: chacun choisit les images qui lui conviennent. Les vôtres ne seront pas forcément les miennes et vice-versa. En ce qui me concerne je verrais pour ces 5 points:

  • la statue de la liberté
  • le penseur de Rodin
  • un groupe de religieux
  • des journaux

Et enfin l’accrochage

Si vous prenez le parcours familier que j’ai donné en exemple, vous pourriez imaginer quelque chose de ce genre:

  • le portail est obstrué par la statue de la liberté, que vous devez contourner
  • le carrefour a maintenant un mini rond-point où trône le penseur de Rodin sur un piédestal
  • autour du lampadaire un groupe de religieux fait une ronde
  • la corbeille à papier est devenue un distributeur automatique de journaux

Conclusion

Naturellement, cet exemple est plutôt théorique, ce n’est pas le vôtre. Il vous appartient de faire d’abord la liste des notions que vous voulez aborder… dans l’ordre d’apparition. Ensuite, vous les évoquez par une image. Puis vous accrochez ces images aux différents points de votre parcours familier en inventant à chaque fois une scène improbable…

Les avocats de l’Antiquité faisaient tous ainsi. C’était une habitude courante. Aujourd’hui, nos bloc-notes, tablettes et autres engins modernes sont devenus des mémoires externes. Du coup, nous en faisons plus l’effort de mémoriser par nous-mêmes.

Seulement voilà: le jury d’examens veut justement savoir ce que vous avez vous-même retenu. Seulement voilà, le public en a marre des conférenciers soporifiques qui lisent leur texte. Et je ne parle pas de leur ton soporifique…

Pareillement, dans les entreprises, on apprécie les gens qui maîtrisent leur sujet et regardent les autres pendant leur exposé. On admet que le directeur financier se penche sur son tableau pour être sûr d’un montant mais pas quand il vous explique sa vision stratégique.

Le temps est fini des lectures au pupitre. Les enseignants, s’ils veulent captiver leurs élèves, doivent « habiter » leur propos et regarder leur public en face. Si vous êtes enseignant et si vous vous contenez de leur lire un manuel, vous pouvez aussi bien leur donner un fichier audio !

Nous abordons un temps de notre histoire où l’on ne veut plus de perroquets. On veut des gens vivants, convaincus par ce qu’ils disent et qui s’adressent à nous sur le ton de la conversation. La méthode du parcours familier peut grandement vous y aider…

Bon, ça n’exclut pas d’avoir un aide mémoire discret si ça vous rassure. Dans ce cas, chaque fois que vous n’y avez pas recours, considérez cela comme une victoire…