Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

LA MÉMOIRE EN PRATIQUE

17 idées fausses sur la mémoire
troisième partie

La seconde partie de l’article (février) avait été moins lue que la première. Raison pour laquelle j’ai attendu avant de publier la suite…  Comme j’ai de la suite dans les idées, je n’allais pas me laisser impressionner par cette petite désaffection et voilà donc cette suite… mais pas encore la fin!

Avec le plaisir pour moi (pour vous je ne sais pas) de penser que depuis février vous êtes 5 à 6 fois plus nombreux qu’à l’époque à venir sur mon blog. Vous serez sans doute encore plus nombreux pour lire la fin dans quelques semaines. Voilà, c’était ma minute d’autosatisfaction. Et maintenant on y va?

Erreur n°11: J’ai la mémoire visuelle (ou auditive… etc) 

Alors là, ça, ça a la vie dure !

« Quoi c’est pas vrai? Moi j’ai la mémoire visuelle je le sais bien, quand même ! Je vois, je lis et je retiens, voilà, c’est tout. Je me rappelle même si la leçon commence sur la page de gauche ou celle de droite. Si le schéma est en haut ou au milieu de la page  J’ai la mémoire photographique. Ma cousine, elle enregistre ses cours et elle les écoute ensuite, c’est une auditive, elle. Vous ne pouvez pas dire le contraire ».

Si.

« J’ai pas de mémoire visuelle? »

SI.

« Ben alors, qu’est-ce que vous racontez ? ».

Alors, elle ne dure que 250 millisecondes. Et ensuite finie, terminés, disparue, évaporée, évanouie… Comme si elle n’avait jamais existé.

Vous avez déjà entendu parler de la mémoire à court terme ? Oui ? Selon les individus, elle dure de 15 à 30 secondes environ.  Eh bien, la mémoire visuelle c’est une mémoire à super court terme: un quart de seconde maxi. La mémoire visuelle fait un peu mieux: 3 secondes.

« Je ne comprends pas, c’est quand même bien par la vue que ça passe. En tout  cas pour moi. Pour ma cousine c’est par les oreilles ! »

D’accord. Vous faites bien de dire que « ça passe par » les yeux ou les oreilles. En fait vous parlez des entrées sensorielles, pas du tout de la mémoire. Ce n’est pas parce que ça « entre par. » les oreilles que la mémorisation va se faire par la mémoire auditive. Elle est beaucoup trop courte pour ça.

Mémoire furtive et grande illusion

En réalité, vous traitez au fur et à mesure ce que vous voyez ou entendez. Et si ça vous intéresse, et plus encore si vous avez envie de mémoriser, vous envoyez tout ça dans une ou plusieurs mémoires à long terme. C’est là que sont stockées les informations… pas dans votre mémoire perceptive qui n’est qu’une furtive mémoire tampon.

« Ça revient au même? ».

Pas du tout. Si vous êtes témoin d’un accident, votre témoignage ne sera pas le même que celui des autres témoins. Si nos mémoires perceptives étaient aussi aussi bonnes que ça, on devrait tous être cohérents non?

Pourquoi vous souvenez-vous que le cycliste accidenté portait une casquette en toile verte alors que d’autres affirment qu’elle était bleue ou jaune?  Parce que chacun a interprété différemment ce qu’il a vu. C’est l’issue d’un traitement cérébral.

Vous avez mis en mémoire sémantique des éléments tels que vélo rouge, cycliste, casquette, verte, accident, voiture,  bleue. Vous avez activé votre mémoire imagée (une mémoire à long terme qui n’a rien à voir avec la mémoire visuelle) et votre mémoire des formes pour caractériser vélo, voiture, casquette et peut-être même cycliste. Et d’autres mémoires aussi comme la mémoire lexicale entre autre.

La mémoire étant associative, cela vous a évoqué inconsciemment d’autres choses. Votre propre vélo. Le jour où vous avez eu un accrochage en voiture. Le tour de France, votre propre casquette. Tiens, au fait, elle n’était pas verte, la vôtre? Et voilà, ça suffit pour que votre mémoire s’emmêle les neurones et voit du vert là où il y avait peut-être du bleu.

Pour en savoir plus, voyez « Combien avez-vous de mémoires, 2, 7 ou 12? » et « Accidents: pourquoi les témoins ont-ils des mémoires divergentes? »

Erreur n°12: Le bachotage permet de mettre en mémoire
des souvenirs tout frais

Ben voyons!

J’ai été moi aussi lycéen, puis étudiant. J’ai connu ça: les révisions de dernière minute ont toujours été un débat. Et  à mon avis c’est un débat sans fin. Les enseignants vous recommandent de vous y prendre à l’avance, d’avoir des périodes de repos. Et même de ne pas réviser la veille de l’examen…

Et naturellement 99 %  des intéressés faisaient et font encore le contraire.

« Vous aussi, je parie… »

Pour le bac oui. Et j’étais anxieux du résultat. A l’Université non. Et je n’étais pas anxieux du résultat.

« Il y a un rapport? »

Peut-être bien. C’est sûrement l’anxiété qui vous pousse à bachoter, à réviser la veille, voir le matin, voire entre 2 oraux. Et quand vous êtes anxieux, vous « forcez » sur les apprentissages. Vous êtes moins efficace parce que la qualité de votre attention est moins bonne.

Du coup, vous êtes plus dispersé, moins cohérent, alors vous forcez encore plus. Enfin, vous travaillez trop, vous vous fatiguez plus, votre cerveau est saturé. Ça ne rentre plus…

« Ouais…mais si on révise trop tôt, ensuite on ne se rappelle plus. C’est pour ça qu’on relit tout au dernier moment!.Comme ça c’est tout frais ».

Ou absent… Ça ne vous est jamais arrivé de « bloquer » au moment de l’examen et, une fois sorti, de constater que ça vous revient fouit d’un coup? Cela dit, il ne faut pas confondre réviser et relire. Réviser c’est un apprentissage et c’est long. Relire, c’est un rafraîchissement et il n’y a pas d’intention de mémoriser. C’est juste une reconnaissance.

Donc, souvenirs tout frais ? Mon œil !

Il n’y a pas de mystère: apprendre c’est toute l’année. Et il faut e la méthode. Je vous renvoie pour ça à l’article  Si vous avez le courage, je vous suggère de lire la première et la deuxième partie de cet article. La méthode en 5 points pour bien mémoriser un cours et briller à l’oral.

Les inconvénients du bachotage sont vraiment sérieux. Le plus grave c’est la saturation. Vous vous trouvez dans l’incapacité à mettre les informations en mémoire à long terme, parfois sans vous en rendre compte. Votre compréhension n’est pas bonne.

Vous n’êtes pas détendu, et pas su tout zen pour les oraux… Les trous de mémoires sont inévitables. Votre pression anxieuse va augmenter et rendre souvent impossible la récupération des informations.

Mais sur le fond, le bachotage est la conséquence directe d’une absence de gestion du temps tout au long de l’année. Et cette absence est elle-même la conséquence de votre procrastination Là, on est en plein sujet de psychologie. Si vous avez tendance à toujours remettre au lendemain vos révisions, vous êtes mûr pour le bachotage… et les risques accrus d’échec.

L’apprentissage paroxystique (je nomme ainsi l bachotage par esprit scientifique…)) a été assez souvent étudié sur le vif. La conclusion est toujours la même. Il donne la primauté au libellé au détriment du fond.

Autrement dit, quand ça marche, vous vous rappelez de mots ou de phrases mais c’est souvent une coquille vide. Vous avez du mal à restituer de dont il s’agit, votre prestation est pauvre, pas à la hauteur. Quand ça marche…

Erreur n°13: le cerveau est un muscle il faut l’entraîner

Oh, là là ! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre. Enfin, comme disait ma grand-mère « mieux vaut entendre ça que d’être sourd, quand même… »

Différences entre les cellules musculaires et les cellules cérébrales.

C’est totalement absurde mais j’ai lu cette histoire de muscle des dizaines de fois. A se demander s’il reste encore des neurones à ceux qui l’affirment. L’entrainement musculaire et l’entrainement cérébral n’ont rien à voir.

Pour moi c’est évident. Mais j’ai constaté d’ailleurs que sur pas mal de forum des gens posent sérieusement la question « le cerveau est-il un muscle? »… Puisque cela ne semble pas aller de soi, je vais devoir m’expliquer un peu.

La réponse est non, le cerveau n’est pas un muscle.

C’est simple. Les cellules musculaires sont en fait des fibres réunies en faisceaux et coulissant les unes par rapport aux autres. Ça, c’est ça, un muscle. Ses fibres sont capables de contraction et cela vous permet le mouvement. Essayez un peu de faire de la gonflette avec votre cerveau !

Et toc !

Les cellules cérébrales, les neurones, sont des cellules interconnectées avec toutes les autres de même nature. On en dénombre pas loin de 100 milliards (plus encore autant dans le cervelet) et chacune peut avoir entre 1000 et 10000 connexions avec leurs consœurs. Cet immense réseau contrôle notamment votre fonctionnement biologique, physiologique et cognitif. Autant dire votre vie.

Voilà. Ça fait déjà une sacrée différence non ?

Et bien sûr, entraîner son cerveau, ou une fonction cérébrale comme la mémoire par exemple, n’a rien à voir avec un entrainement musculaire.

En effet, ce dernier a pour but essentiel d’augmenter la masse et la résistance musculaires, jusqu’à arriver à un pic de performance physique. Ce pic est censé se produire juste au moment d’une épreuve qualificative ou d’une compétition.  Par ailleurs ce type d’entrainement a une antériorité considérable. On trouve en effet des allusions à l’entrainement sportif dans l’Antiquité. Les Jeux Olympiques y sont probablement pour quelque chose.

Différences entre les méthodes d’entrainement.

Quoi qu’il en soit, le grand mot de l’entrainement sportif (antique ou contemporain) c’est spécificité. Un tennisman ne fait pas le même entrainement qu’un rugbyman. Un nageur ne s’entraîne pas comme un perchiste. Etc. La musculature n’est pas mise à contribution de la même façon chez un escrimeur et un cycliste.

Tout cela est aujourd’hui très connus, codifié, programmé saison après saison. C’est un entrainement destinés aux professionnels, mais dont les règles migrent, moyennant adaptations, chez les amateurs.

Pour l’entrainement cérébral c’est tout l’inverse: la spécificité n’a aucun intérêt… sauf pour les « sportifs cérébraux » qui font de la compétition. Oui, ça existe aussi, mais statistiquement c’est peu. Il peut y avoir, en effet, des « championnats » de Sudoku ou de mots croisés mais c’est marginal.

En revanche il y a bien des championnats de France et du monde de… mémoire. Seulement la mémoire ne peut pas s’entraîner spécifiquement. C’est déjà un ensemble de processus et il faut les entraîner tous: l’attention, la connaissance des mots, des concepts, la compréhension, la logique, le raisonnement, la catégorisation etc… sont nécessaires à son fonctionnement.

Si le cerveau était un ensemble de muscles, il faudrait les entraîner tous. C’est comme si le coureur de fond devait aussi faire l’entrainement des patineurs, des kayakistes, des basketteurs, des judokas, des archers etc.

Les fonctions cérébrales sont en effet  interconnectées. Lorsqu’une fonction a besoin de plusieurs autres, c’est comme une chaîne. Sa solidité globale est celle du maillon le plus faible. Le maître mot ici, serait donc globalité.

Erreur n°14: La mémoire est localisable dans le cerveau

Ça, c’est à moitié vrai ! Et donc… à moitié faux selon le sens qu’on donne à « localisable ».

Il y a un peu de vrai

Oui, il y a bien quelque chose de vrai la dedans: la mémoire, ça se passe dans le cerveau. Du moins ce qu’on en connait. A vrai dire on n’a pas toujours pensé ça. Autrefois le siège de la mémoire était supposé être… le cœur. D’où probablement l’expression « savoir par cœur ».

« Arisitoteles dixit ». Aristote l’a dit. C’est donc dans le cœur. Hippocrate, le référent des médecins,  en doutait probablement tout de même puisqu »il penchait pour le cerveau comme siège des sentiments et des émotions. Mais il ne parle pas expressivement de la mémoire. Les travaux de Gallien suggèrent déjà (il est mort en… 210) que la mémoire et le cerveau pourraient avoir partie liée.

Mais ce n’est que dans les années 50 que cela se vérifie. C’est alors que, si je ne m’abuse, arrive le cas connu sous le nom de code  « HM ». HM pour Henri MOLAISON. Cet homme marque malgré lui, en effet; le début des études scientifiques modernes concernant la mémoire et le cerveau.

Il souffrait d’une épilepsie rebelle à tout traitement et qui lui rendait la vie impossible.

Le chirurgien avait identifié le foyer épileptique dans l’hippocampe et une partie du lobe temporal. Une ablation est décidée. Réussite totale: l’épilepsie a disparue. Problème collatéral: HM perd la mémoire. Embêtant pour lui mais c’est le début des découvertes scientifiques « sérieuses » sur la mémoire.

Après HM, les premières études sur la mémoire concernent donc l’amnésie temporale. et le rôle de l’hippocampe dans le processus de mémorisation. Et le rôle du cerveau est devenu évident. Et pourtant…

Il y a beaucoup de faux

Au début on pouvait penser que le siège de la mémoire était donc hippocampe et le lobe temporal. On s’est vite rendu compte que l’amnésie temporale n’est pas une amnésie totale. Et puis des lésions dans d’autres régions du cerveau peuvent aussi provoquer des troubles de la mémoire…

Avec le développement de l’informatique et des méthodes d’imagerie on commence à en savoir un bout sur la question. Et pourtant, il semble qu’on ne tienne pas beaucoup compte des recherches des 2 dernières décennies dans la littérature. Même parfois dans des revues à caractères scientifique…

Que dit-on? Par exemple que les informations à long terme sont stockées dans le lobe temporal qui serait donc le « siège » de la mémoire. C’est là qu’on trouverait, notamment, la mémoire sémantique et la mémoire épisodique. (Pour mieux comprendre ces notions et les autres ci-après, voir cet article déjà cité pour l’erreur n° 11.).

Le lobe frontal, serait lui, le moteur de recherche des informations. L’hippocampe serait le checkpoint entre la mémoire à court terme et la mémoire à long terme. La mémoire procédurale siégerait dans le cervelet, la mémoire spatiale dans l’hippocampe, Etc.

Sauf que non. Pas vraiment. Ces conceptions sont vieilles de plus de 20 ans. On comprenait alors que des régions cérébrales spécifiques étaient vouées à des mémoires particulières. L’imagerie fonctionnelle a pourtant balayé tout ça.

Alors qu’est-ce qui est vrai?

Ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain. Mais ce n’est pas une raison pour en rester au vrai d’hier. Aujourd’hui nous savons que la mémoire fonctionne avec des réseaux de neurones pour la plupart situés dans le néocortex. Et, certes, la région frontale, par exemple, en recèle pas mal.

On voit bien que l’hippocampe est une voie d e passage mais pas que. Il joue aussi un rôle dans la consolidation, par exemple..

De plus, chaque réseau est interconnecté avec les autres. Le rappel d’un souvenir active des circuits divers. On le voit en direct avec l’imagerie fonctionnelle. Qu’est-ce que c’est? Une sorte d’IRM qui observe l’activation des neurones au moment même où vous les sollicitez.

Par exemple on vous demande de faire une opération mentale et on voit les réseaux neuronaux qui s’activent alors. Ensuite on vous demande un souvenir en rapport avec cette opération et on voit les zones qui s’activent. A priori les mêmes mais  pas que.

Surtout, on constate que les opérations en questions, leur mémorisation et leur rappel modifient immédiatement les synapses et peuvent en créer de nouvelles.

Le rappel dans différents contextes active des chaînes de neurones différentes. Par la suite, l’activation d’une chaîne entraîne l’activation des autres. Ce phénomène de synchronisation devient le support de la mémorisation.

Chaque information nouvelle, en rapport avec les précédentes fait grossir le réseau ou les réseaux concernés par cette information par la création de nouvelles connexions…

Il faut comprendre que cette nouvelle information, tout comme les autres, appartient à plusieurs réseaux. Que tous les  neurones appartiennent à des quantifiés de réseaux différents pouvant émarger à des mémoires différentes. La structure est donc complexe et chaque neurone impliqué dans la mémoire participe à des quantités  de mémorisation différentes.

Les résultats de la recherche ont de quoi étonner.

On a fini par constater que la mémorisation suscite des réseaux de neurones dans tous les recoins du cerveau. Dans les zones sensorielles, dans les zones motrices, dans les zones émotionnelles  aussi bien que  dans les zones associatives. Et il y a aussi des réseaux entre ces dernières et l’hippocampe. C’est une vaste toile d’araignée capable d’accueillir et de restituer les les informations.

Mais bien malin qui pourrait dire exactement où elles sont stockées !

Les réseaux neuronaux sont à géométrie variable et se modifient constamment. Des dendrites « poussent » en permanence pour se connecter à d’autres et à chaque minute qui passe, la carte cérébrale a déjà changé… Une information n’est pas stockées dans un neurone ou un groupe de neurones. Pas non plus dans un réseau ou plusieurs réseaux fixes.

La « carte neuronale » correspondant à une information en particulier n’est jamais la même. De plus, ce ne sont pas les neurones eux-mêmes qui sont les maîtres d’oeuvre. Mais plutôt les synapses, c’est à dire les connexions. On a découvert, en effet, qu’elles sont capables d’une activité indépendante de mémorisation sans même « réveiller » les neurones auxquels elles appartiennent !

Bon d »accord: c’est chez les souris. Mais soyez patients. Dans les laboratoires, rats et souris sont les précurseurs de l’homme…

(A suivre)