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Augmenter votre mémoire avec un implant cérébral?
Augmenter votre mémoire, ça vous intéresse ? Mémoire, quand tu nous tiens… Je vous ai fait savoir il y a quelque temps que j’allais un peu lever le pied. Et me limiter à un article par quinzaine pour les deux mois à venir. C’était compter sans l’actualité. Je n’ai pas pu m’empêcher de reprendre le clavier…
Le coupable c’est un article paru dans le site Internet… Rolling Stones ! Vous pouvez le retrouver ici. Le titre est pour le moins tapageur: « Ça y est, un implant peut augmenter votre mémoire ! »
Rien que ça…
Autant vous le dire tout de suite, c’’était bien le dernier endroit où je serais allé chercher de l’information scientifique… Mais, avec un titre pareil je ne pouvais quand même pas passer à côté ! A vrai dire, je m’attendais plutôt à du grand n’importe quoi. Eh bien non.
Certes, il ne s’agit pas vraiment d’implant et cet article approximatif n’a rien de scientifique. Mais il y avait quand même anguille sous roche. Alors j’ai suivi la piste.
Et c’est ainsi que je suis arrivé sur l’article originel paru sur le site du New Scientist (Londres). Cet article relate une communication scientifique faite par le professeur Dong SONG devant la Society for Neuroscience de Washington DC, lors de son colloque annuel qui vient de se tenir du 11 au 14 novembre.
Ce monsieur est un chercheur de l’USC, l’Université de Californie-Sud (et non pas de Caroline du Sud comme l’indiquent plusieurs sites Internet pas très regardant sur l’exactitude des faits…). Disons l’Université de Los Angeles pour nous fixer les idées.
Fort réputée, dotée d’un budget qui frise les 3 milliards de dollars, elle accueille des professeurs qui ne sont généralement pas des charlots. Cela méritait donc de pousser un peu l’investigation.
Voyons ce qu’il en est.
Comment améliorer la mémorisation d’images
L’expérience
Notre éminent professeur et chercheur en ingénierie biomédicale a eu recours à 20 volontaires. Ces cobayes étaient déjà dotés d’électrodes implantées dans leur cerveau (exactement dans l’hippocampe). Nous verrons pourquoi tout à l’heure. Ces électrodes leur ont permis de collecter des données sur leur activité cérébrale pendant qu’on leur faisait faire des exercices de remémoration.
Si vous aviez été choisi, auriez-vous augmenté votre mémoire ?
On s’est particulièrement intéressé aux enregistrements concernant les meilleures performances de rappel. L’idée était de réinjecter ensuite ces signaux dans l’hippocampe, via les mêmes électrodes. Ceci grâce à un dispositif probablement similaire au boitier de neurostimulation utilisé pour traiter l’épilepsie.
Et ça a donné quoi ?
Si l’on en croit l’article du New Scientist, cette stimulation aurait amélioré de 30 % la mémoire des sujets d’expérience. Oui, je sais, vous n’en faisiez pas partie.
De quelle mémoire s’agit-il ? A-t-on mesuré l’empan de mémoire ? Cela ne concernerait alors que la mémoire à court terme. A-t-on mesuré des performances de mémoire sémantique ? Ou d’un autre type ?
En fait on a demandé aux volontaires de mémoriser des images. On leur a demandé ensuite de s’en rappeler. La mémoire imagée est environ plus performante de 30 % que la mémoire verbale. Autrement dit il est plus facile de retenir une liste d’images qu’une liste de mots. Il est normal que, pour une première expérience, on ne recherche pas la difficulté.
Je reviendrai dans un autre article sur l’efficacité des images, en raison notamment du double codage. Disons, pour vous donner une idée, qu’on ne peut pas s’empêcher d’évoquer mentalement ce que l’on voit dans une image. D’où un codage de l’image et un codage des mots pour la décrire. Donc, avec les images, vous augmentez voter capacité de rappel.
Que peut-on en penser ?
Le chercheur a enregistré l’activité cérébrale recueillie sur les électrodes lors de l’exercice de remémoration des images. . Ce sont ces signaux qui ont été réinjectés ensuite par la même voie.
Ce qui fait dire au professeur SONG que ces signaux font un renforcement du travail de mémorisation naturel. J’ai des gros doutes là-dessus car, à moins d’une erreur de traduction, il s’agit plutôt d’un renforcement du processus de reconnaissance. La mémorisation est une chose, la reconnaissance en est une autre. (Si vous n’êtes pas très au point avec ces notions, voyez mon article princeps « Les secrets de la mémoire »).
Sauf que, il est vrai, l’hippocampe génère lui-même la nuit des signaux assez analogues à ceux qu’il génère pendant la première captation des information en état de veille. Les chercheurs considèrent peut-être qu’ils font « la même chose » sans attendre la nuit suivante.
A priori j’ai l’impression que cette injection de simili influx nerveux devrait agir comme une répétition. Vous savez (enfin si vous me suivez…) qu’une des clés de la mémorisation est la répétition. Une information que vous utilisez souvent est mieux mémorisée. Son rappel est plus rapide et plus efficace.
Amélioration de la mémoire ou simulation
de la remémoration ou de la reconnaissance ?
That is the question…
On sait aujourd’hui que les circuits neuronaux concernant cette information ont tendance à rester stables. Et surtout qu’ils restent comme « en veille » et démarrent au quart de tout dès qu’ils sont sollicités. L’idée n’est pas nouvelle puisque elle a été énoncée par Sigmund Freud en 1895.
Sa théorie était que l’influx nerveux rencontre une certaine résistance pour passer d’un neurone à un autre. Lorsqu’un même circuit est sollicité souvent, la résistance diminue. Il appelait ça le « frayage ». Comprenez cela comme se frayer un chemin. Il n’y avait à l’époque, et pendant longtemps ensuite, aucun moyen de le vérifier.
Cela a été fait récemment.
L’intuition de Freud était juste.
La répétition d’une information, que ce soit pour l’apprendre ou qu’on s’en serve souvent, crée donc ce « frayage ». En fait on a abandonné ce terme mais la réalité est bien celle-là. Le résultat c’est un circuit qui ne « s’éteint » pas après usage mais reste encore sous tension minimale, comme en veille. Lorsqu’on en a besoin, on économise alors la phase de « préchauffage » en quelque sorte. et la remémoration est beaucoup plus rapide.
Cette injection d’une copie des influx nerveux recueillis lors d’une bonne remémoration me fait donc irrésistiblement penser à une répétition. Mais ce n’est pas, à vrai dire, une répétition de mémorisation, mais une répétition de remémoration ou de reconnaissance. Faute d’avoir pu trouver la communication originelle du Professeur Song ce n’est pas encore clair pour moi.
Si le procédé eu professeur SONG est efficace cela laisse penser que les signaux de la mémorisation et ceux de la remémoration ou de la reconnaissance sont très proches. Et que faire une répétition des signaux de remémoration vaudrait une répétition de mémorisation. Toutefois, dans l’immédiat il est quand même plus facile de réviser ce que l’on veut apprendre que de s’injecter un clone de notre influx nerveux de remémoration…
Il faut mettre un bémol aux résultats de l’expérience…
Comme je n’ai pas encore eu accès au texte intégral de la communication, je ne connais pas le détail du dispositif d’étude. Mais il y a quand même quelque chose qui me chiffonne : elle a porté sur des volontaires, déjà porteurs d’électrodes pour traiter leur épilepsie.
Il s’agit là de neuro-stimulation profonde, au niveau de l’hippocampe. Des stimulations électriques dans cette zone diminuent notablement en effet les symptômes de l’épilepsie. Elles sont produites par un petit boitier à pile inséré sous la peau et relié aux électrodes implantées par des fils très fins.
Mais l’hippocampe est aussi un véritable carrefour pour la mémoire. Toutes les informations susceptibles d’être mémorisées passent par-là! Toute action de mémorisation ou de rappel suscite donc une activité électrique de cette zone.
On comprend donc pourquoi l’équipe du Professeur SONG a cherché des volontaires parmi des épileptiques déjà équipés d’électrodes. Il n’est pas sûr, en effet, qu’il aurait pu trouver des cobayes sains pour se faire implanter des électrodes dans le cerveau ! Vous auriez été volontaire vous ? Moi pas!
Vers l’homme augmenté?
Toujours est-il que les épileptiques souffrent souvent de troubles de la mémoire. Je ne parle pas seulement de l’amnésie transitoire qui suit chaque crise. Mais de « vrais » problèmes de mémoire plus ou moins graves et variables d’un patient à l’autre.
Dès lors, dire que la mémoire des sujets d’études a été améliorée, cela pose deux questions:
1- cela aurait-il été la même chose chez des sujets « normaux »? La vérité oblige à dire qu’on n’en sait rien. Il est peu probable que des sujets « normaux » accepteraient qu’on leur pose des électrodes… Dans l’état actuel des choses les résultats de cette recherche ne sont pas généralisables.
2- l’amélioration constatée se limite-t-elle à la remémoration des images vues? Ou bien cette amélioration a-t-elle été transférée à la remémoration en général? L’article du New Scientist ne fait mention d’aucun transfert de cette amélioration. C’est donc probablement qu’il n’y en a pas.
Ce dernier point ne m’étonne guère. Comme je le dis plus haut, il me semble que l’on a à faire à une simulation de remémoration. Cette simulation concerne la remémoration des images présentées aux sujets. Cela contribue probablement à maintenir sous tension, en veille, des circuits concernés pas cet apprentissage. Mais ce circuit-là seulement.
Il n’y a donc aucune raison que cette amélioration se diffuse à toute la mémoire. Et donc il n’y a pas d’application pratique généralisable.
conclusion
Soyons juste: il s’agit d’une première étude. La recherche fonctionne ainsi. Les premiers résultats ne sont jamais applicables à quoi que ce soit.. Nous sommes au début d’une probable série d’expériences qui vont enrichir le domaine. Nous sommes encore très loin de « l’homme augmenté » que certains croient imminent. Ce n’est pas encore demain que vous allez augmenter votre mémoire grâce à un implant !
Et, pour le coup, vous êtes tout aussi loin de la promesse du site Rolling Stones… « Ça y est un implant peut augmenter votre mémoire » ! Non, ça n’y est pas du tout… Pour ça il va vous falloir patienter quelques années. Et encore, rien n’est sûr… Mais ça valait le coup d’en parler, non ?