Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

La routine est-elle une bonne chose ? Ou bien est-elle une mauvaise chose ? Les avis sont partagés. Ces deux affirmations contraires sont aussi fréquente l’une que l’autre. Mais laquelle est vraie ? Et puis, ne se pourrait-il pas que les deux affirmations soient vraies ? Par exemple que la routine aide et gêne en même temps.

Cet article examine aussi, bien sûr, les effets de la routine sur la mémoire. Est-elle une aide ou une entrave pour la mémoire ? Est-ce que ça dépend des circonstances ? C’est ce que nous allons voir.

Evidemment, en écrivant cela, j’ai un peu l’impression de me retrouver au collège… Vous savez, lorsqu’on nous apprenait à tout traiter selon le même plan : thèse, antithèse et synthèse ! Bon, je vais essayer de ne pas être académique. Enfin, pas trop…

Image montrant une bibliothèque avec des dictionnaires et le mot définition
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Qu’est-ce qu’une routine ?

En fait, a routine n’a pas de définition unique. En général toutefois, on fait allusion à une habitude d’agir ou de penser devenue mécanique. Voire à une façon de vivre ou de travailler morne et sans surprise, devenue ennuyeuse.

Là-dedans, le mot habitude me gêne. Si l’on remplace « routines » par habitudes, on voit tout de suite que « mauvaises habitudes » est un jugement moral. Qui vous enjoint de prendre de « bonnes habitudes ». Des routines positives…

Alors que « techniquement » une mauvaise routine est seulement préjudiciable en fonction d’un but ou d’un état espéré. Il n’y a aucun jugement moral là-dedans. Chaque fois que vous verrez les mots « habitude », ou « les habitudes », si je les utilise, débarrassez-le donc de tout jugement moral.

Mais ce peut être aussi un ensemble d’actions qui se suivent, toujours identiques chaque fois et faites dans un ordre impératif. Par exemple la « check list » avant décollage d’un avion. Ou bien, au contraire, des actions complexes et variables mais que l’habitude et l’expérience vous permettent de faire sans réfléchir. Par exemple conduire une voiture.

Toujours est-il que, dans la vie courante, c’est fou comme les routines sont présentes. Dès lors que votre emploi du temps est minuté, vous êtes en pleines routines. Un numéro de téléphone que vous faites plusieurs fois par jour, c’est déjà une routine. Une tâche récurrente, un trajet régulier, les courses du samedi, le ménage, la séance de yoga du mardi, les enfants à emmener à l’école, la réunion d travail du jeudi matin ou faire cuire des œufs à la coque, ce sont autant de routines.

Étant donné l’importance des routines dans notre vie, il serait difficile d’affirmer qu’elles ont nuisibles. Au contraire, il est évident qu’elles nous facilitent la vie. Mais des arguments contraires existent aussi. Alors, voyons ça.

Les routines vous aident

À l’évidence, les routines nous font gagner du temps. Leur côté automatique économise le temps de la réflexion. Vous ne vous posez pas de question sur la façon de conduire votre véhicule. Si c’est régulier, vous ne vous demandez pas ce que vous devez faire tel jour à telle heure. Vous n’avez pas besoin de vous référer à une notice d’instructions pour faire des œufs à la coque. Ni pour mettre en route le lave-vaisselle ou la tondeuse à gazon.

Les enfants s’intègrent dans la vie par des routines : par exemple dire bonjour, dire merci, se brosser les dents après le repas, aller à l’école, faire les devoirs en rentrant, appliquer les règles d’un jeu ou les tables de multiplication, ou encore traverser la rue au « vert piéton » …

Pour les personnes dispersées, acquérir des routines peut être un moyen de regagner en efficacité. Elles sont comme une main courante, une rampe à laquelle ces personnes peuvent s’accrocher sans y penser, tout en se maintenant sur la voie. À la limite, si vous avez du mal à rester concentré, une routine peut devenir un substitut à la concentration qui vous manque. En tout cas, pour des actions répétitives.

Photo montrant la plaque professionnelle d'une kinésithérapeute

Les routines vous gênent.

Il est évident aussi que les routines vous jouent des tours. Cette année, il m’est déjà arrivé deux fois de me tromper de jours pour une séance de kiné. Pourquoi ? Le jour du rendez-vous avait été exceptionnellement changé. J’avais bien modifié mon agenda en conséquence. Mais la routine a été plus forte : je me suis présenté au jour habituel ! Le kiné était absent…

Les routines supposent quasiment un monde immuable. Une absence de changement. Une reproduction régulière et à l’identique du schéma établi. Au moindre changement, il y a un risque que votre comportement, emporté par l’habitude, n’en tienne pas compte. C’est ce qui m’est arrivé et je ne suis sûrement pas le seul.

La routine peut même vous rendre aveugle à un petit changement qui devrait vous faire changer de comportement. Alors, vous n’en tenez pas compte et cela peut vous faire du tort. C’est d’ailleurs une cause assez fréquente d’accidents au travail.

En effet, si la routine peut compenser l’absence de concentration elle ne la remplace pas. C’est même antinomique. Quand vous faites quelque chose par routine, vous n’y pensez pas. Il est même probable que vous pensiez à autre chose ! D’où absence d’anticipation et possibilité s’accidents ou d’erreurs préjudiciable.

Pourquoi les routines peuvent être bonnes

Que serait une bonne routine ? Probablement une routine avec attention et possiblement concentration.  C’est apparemment antinomique. Pourtant… La check liste des pilotes de ligne demande de l’attention. On ne passe pas à la ligne suivante tant que la vérification de la ligne en cours n’est pas validée ! Certes, il s’agit d’une routine assistée.

Une routine assistée est une procédure externe à suivre. Ce n’est pas le pilote qui est routinier, c’est la procédure qui l’est. À chaque point clé de la procédure, l’attention du pilote est sollicitée.

À première vue, cela n’a rien à voir avec la mémoire dite « procédurale » qui est une mémoire interne. C’est par exemple, celle qui vous permet de faire du vélo, de conduire votre voiture, de faire fonctionner votre ordinateur ou d’utiliser la tondeuse à gazon. Vous avez mémorisé depuis longtemps comment ça marche. Il ne vous viendrait pas à l’idée de passer la première avant d’avoir débrayé. Vous ne vous demandez pas où est la pédale de frein…

Vous n’avez pas de procédure écrite contraignante, mais ça n’exclue pas l’attention, bien au contraire. Elle vous permet de la porter sur autre chose : la circulation, par exemple. Que la procédure soit externe ou interne, cela ne signifie pas absence d’attention. Et c’est heureux.

D’ailleurs, qui est le moins dangereux : un conducteur expérimenté, qui utilise sans y penser sa mémoire procédurale pour conduire ? Ou un conducteur débutant qui focalise son attention sur le maniement de son véhicule ? Le premier est généralement détendu. Le second est généralement sur le qui-vive et à l’impression d’avoir trop de données à traiter à la fois. 

La routine, apparait alors comme une bonne chose.

Pourquoi les routines peuvent être mauvaises

Que ce soit sur la route, au travail ou chez soi, les routines sont aussi à l’origine d’erreurs ou d’accidents. Par exemple, la plupart des accidents de voiture a lieu sur des trajets connus, habituels.

Pourtant, une fois libérée des premiers apprentissages qui l’accaparaient au début, votre attention devrait être entièrement portée sur la route. En fait, si vous faites des trajets variés, toujours différents, c’est probablement le cas. Mais pas pour des trajets fréquents et bien connus.

C’est contre intuitif. Pourtant, le fait que l’attention que vous portez à la route finit par s’émousser avec l’habitude. Après un certain nombre de trajets identiques, elle faiblit. Les études montrent aussi que la routine amène une sous-estimation progressive des risques. Autrement dit, l’expérience n’améliore pas la sécurité.

On le constate aussi en matière d’accidents du travail. Il faut se faire à l’idée que l’expérience amène à ne plus percevoir du tout les petits risques. Et finalement à prendre plus de risques. Ces risques sont perçus comme tels, mais sous-estimés. Une partie des accidents domestiques sont également imputable à une conscience affaiblie du risque.

Heureusement, la majorité des « accidents de routines » sont mineurs : aller à un rendez-vous habituel bien qu’il ait été déplacé par exemple ; ou chercher où est le frein à main dans une nouvelle voiture (histoire vécue : sous le tableau de bord maintenant) ; tourner machinalement dans une rue tout en sachant qu’elle vient d’être coupée 300 m plus loin par des travaux ; continuer machinalement une action habituelle avant de prendre conscience qu’elle ne sert plus à rien.

Mais parfois, cela peut vraiment vous porter préjudice.

La routine comme élément de confort ou d’inconfort

Vous ne pouvez pas généraliser si la routine est aidante ou nuisible, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle vous donne un certain confort. Pas de question à se poser avant d’agir. Pas de perte de temps, pas de dépense d’énergie en préparatifs.

La routine peut devenir synonyme de « petite vie tranquille et sans risque ». Des horaires constants. Des activités régulières et sans surprise. Le week-end toujours libre. Le yoga du mardi. Les raviolis du vendredi. La salle de sport du samedi matin. Le repas chez belle-maman le premier dimanche du mois. Certaines personnes adorent ce genre de situations réglées.

D’autres non.

Pour eux, la routine est synonyme d’immobilisme et d’ennui. Aujourd’hui comme hier et demain comme aujourd’hui, à perte de vue… le cauchemar pour certains ! En effet, la routine de vie n’offre pas de perspective d’avenir. Au contraire, elle favorise la perpétuation à l’identique. Les personnes dynamiques, « battantes », ne le supportent évidemment pas. Elles ont même besoin d’un petit fond de stress pour se sentir bien, c’est dire.

Seulement, il en faut pour tout le monde. La routine est excellente pour les « conservateurs » qui n’aiment pas le changement. Ils n’en éprouvent pas le besoin. Et à fuir pour les « mobilistes », qui aiment la nouveauté, le changement. Ils ont besoin de projets, d’actions gratifiantes. C’est une question d’adéquation entre la psychologie de l’individu et son mode de vie.

Et le monde est ainsi fait que les premiers peuvent quelquefois sortir un peu de leur zone de confort et en tirer grand plaisir. Et que les second peuvent parfois goûter la satisfaction d’un break pour recharger les batteries. La routine, en fin de compte n’est ni bonne ni mauvaise. Dans la vie courante, elle vous satisfait ou pas. C’est tout.

La routine et la mémoire

Évidemment dans un blog sur la mémoire, la question est incontournable. La routine est-elle bonne ou mauvaise pour la mémoire ? C’est un vrai sujet. L’idée prévalente a longtemps été que la routine est une bonne chose pour la mémoire. Et puis cela a été contesté. Mais c’était plutôt une bataille d’idées. Il aurait fallu des études scientifiques pour les valider ou les invalider. Eh bien, on commence à en avoir…

La routine aide la mémoire

C’est l’idée la plus ancienne. La mémoire procédurale est un bon exemple. C’est celle qui conserve vos savoir-faire. Elle est si solide que c’est la dernière à céder devant la maladie d’Alzheimer.

Citons, en vrac, quelques savoir-faire qui ne s’oublient pas : savoir marcher, dessiner un carré, faire du vélo, parler, courir, monter à l’échelle, essorer la salade, conduire sa voiture ou son tracteur, faire la cuisine, mettre et lacer ses chaussures, se faire un shampooing, écrire, nager etc…

Cette mémoire est assez particulière. Mais plusieurs études montrent que la routine a des effets positifs aussi sur d’autres types de mémoire liés à la cognition. Une information souvent utilisée, par exemple, est toujours mieux remémorée qu’une information rarement utilisée. On en connait aujourd’hui la raison.

Mémoriser quelque chose met en branle toute une population de neurones liés les uns aux autres. On peut constater que, lors d’une mémorisation, des différences de potentiel se transmettent tout long de plusieurs chaînes de neurones.

À l’imagerie cérébrale, on peut quasiment les voir « s’allumer » les uns après les autres. C’est un peu comme des voitures au feu rouge qui démarrent en accordéon au feu vert, les uns après les autres.

Mais à chaque « révision » les neurones s’activent de plus en plus rapidement. Au bout d’un certain nombre de répétitions de l’information, ils s’allument quasiment tous en même temps. C’est comme si toutes les voitures démarraient en même temps au feu vert.

Le cas typique c’est le numéro de téléphone que vous faites souvent. Au début, il vous en revient des bribes et vous devez vous référer à votre répertoire. Au bout d’un certain temps il vous revient instantanément en entier. Indubitablement, les répétitions font des routines très efficaces (pensez aussi aux tables de multiplication) pour mémoriser.

La routine pénalise la mémoire

S’il est vrai que la routine puisse soulager la mémoire, cela ne la fait pas pour autant fonctionner. Si vous savez dire, au débotté, combien font 5 x 8, c’est comme si vous aviez un accès direct à l’information, sans que votre mémoire s’active vraiment. De plus, ce genre d’informations qui viennent instantanément à la demande sont très rares. Du moins au regard des milliards d’informations que nous avons stockées en mémoire au cours de notre vie

Ces mémorisations solides sont diverses : tables de calcul, itinéraires, noms des personnes avec lesquelles vous avez des relations fréquentes, adresses, numéros de téléphone fréquemment utilisés etc.

Toutefois, la grande majorité des informations que nous devons mémoriser ne font pas partie de cette catégorie. Dès lors qu’elles n’ont pas vocation à être utilisées souvent, ces informations ne bénéficieront pas du phénomène de répétition. Mais, pire encore, nous faisons tout pour éviter leur passage par la case mémorisation ! Comment ça ? C’est simple, avec nos agendas, smartphones, GPS et autres mémoires externes. Et là ça se gâte.

Par exemple, on a enregistré l’activité cérébrale de conducteurs au volant d’un simulateur de conduite avec GPS. Et puis aussi l’activité cérébrale de conducteurs au volant du même simulateur de conduite, mais sans GPS.

Dans ce dernier cas, on voit à l’imagerie cérébrale une activité maximale dans l’hippocampe (très impliqué dans la mémoire) et dans le cortex préfrontal. Dans le premier cas, avec le GPS, il ne se passe rien de particulier dans ces zones cérébrales… Calme plat !

Et voilà pourquoi, si vous faite souvent le même trajet au GPS, vous ne le mémorisez pas pour autant. Alors qu’une conduite non assistée vous le permet au bout de quelques répétitions.

Alors, finalement, la routine c’est bon pour la mémoire ou pas ?

C’est selon. Pour reprendre l’exemple automobile, la routine peut vous faire conduire en mode pilote automatique. C’est rassurant. Sauf que vous ne vous engagez pas pleinement dans ce que vous faites. Cela réduit considérablement la possibilité de capter et de mémoriser de nouvelles informations sur votre trajet.

À moins que quelque chose vienne gripper la routine. Par exemple une déviation. Cette déviation, vous la mémoriserez quand même probablement, du moins son existence. Vous vous en souviendrez au retour parce que la routine a été interrompue.

Mais pour le reste, n’oubliez pas que la plupart des accidents ont lieu sur des trajets de routine parce qu’elle fait baisser le niveau de vigilance.

Je dirais donc 3 choses :

–         la routine renforce les données déjà bien mémorisées, même si elles n’en ont plus  besoin…

–         la routine génère une baisse d’attention aux autres informations qui seront donc mal ou pas mémorisées.

–         L’interruption de la routine vous redonne la main sur vos compétences habituelles en mémorisation.

Aussi, la conclusion ce serait peut-être ceci : ce serait exagéré d’éviter toute routine ; mais avoir des routines positives et s’y tenir comme l’huitre sur son rocher ne parait pas une si bonne idée. Il serait sans doute judicieux de les mettre en pause régulièrement. Les « casser » régulièrement en quelque sorte.

Comment casser les routines ?

Les moyens ne manquent pas. Par exemple, il est bien rare qu’il y ait un seul itinéraire pour aller quelque part. Pourquoi ne pas volontairement en changer de temps à autre ? Quitte à vous faire une nouvelle routine… provisoire.

Il y aura toujours des incontournables. Vous ne pourrez pas modifier l’agenda de votre professeur de piano. Mais pour bien d’autres choses vous pouvez quand même modifier régulièrement votre emploi du temps.

Vous pouvez également chercher à surprendre votre conjoint ou vos enfants. Un habillement inhabituel, une sortie impromptue, un cadeau fait sans raison…

Et peut-être aussi un repas atypique, un changement de vos habitudes au travail, un week-end insolite en famille.

Ou bien des journées ou des soirées « sans » tirées au sort. Sans téléphone, sans Internet, sans horaires, sans achats, sans télé, sans maquillage, sans jugements, sans dispute, sans viande, sans voiture etc… Vous pourriez même inventer aussi des journées « avec », qui sait ?

Et puis… tout ce que vous pourrez inventer, après tout.

Et la conclusion devient simple : la routine oui, mais avec des interruptions !

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Les routines : utiles ou nuisibles ?
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Les routines : utiles ou nuisibles ?
Description
Les routines sont-elles des aides positives dans la vie ou des facteurs de déclin cognitif ? Est-ce que les routines peuvent diminuer notre capacité à réagir intelligemment et nous mettre en danger ou nous faire prendre des décisions stupides ?
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Le Club Memori