LES SECRETS DE LA MÉMOIRE
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1) L’attention et la concentration
Cet article fait suite à l’article intitulé « Les secrets de la mémoire ». Pour mémoire, si j’ose dire, je vous rappelle la chaîne mémorielle :
Perception, attention, concentration, transmission, stockage, intégration, consolidation, et enfin rappel.
Cette chaîne se dédouble en ce que j’appelle la séquence cognitive et la séquence neurologique.
La séquence cognitive : motivation (on n’en a pas encore parlé, ça viendra), attention, concentration, consolidation. C’est d’elle que dépend grandement l’efficacité de votre mémoire. Donc, lorsque vous êtes attentif, ou concentré ce qui est encore mieux, vous assurer une bonne « gravure » des informations. Si, de plus, vous utilisez cette dernière de la bonne façon, vous facilitez le processus de rappel.
La séquence neurologique : perception, transmission, stockage, intégration et rappel. C’est la séquence de base de la mémoire. Elle parvient à fonctionner a minima même en l’absence de la séquence cognitive. C’est ainsi que vous pouvez peut-être me dire comment vous étiez habillé votre ami Jean quand vous l’avez vu de loin dans la rue même si vous n’y avez pas prêté particulièrement attention. Mais peut-être pas. Mieux vaut ne pas trop y compter…
Pourtant, la séquence neurologique est un mécanisme indispensable. C’est elle qui fournit les mécanismes qui permettent d’acquérir et d’acheminer l’information. Puis de la classer, la stocker, la rappeler…
La séquence cognitive se concentre sur les contenus. En revanche, la séquence neurologique se concentre sur leur traitement. Les deux font la paire. Sans contenu le système tourne à vide. Et sans le système, il n’y a pas de contenu exploitable. En d’autres termes, la neurologie c’est le substrat neurologique, la tuyauterie, le câblage. Et naturellement, le cognitif c’est le contenu et la qualité du contenu.
La séquence neurologique de la mémoire
Pour mieux comprendre la séquence neurologique, je vous suggère d’imaginer un appareil photo numérique.
Les photons qui viennent sur le capteur de l’appareil, ce sont les perceptions. Le parcours entre le capteur et la carte mémoire c’est la transmission. L’inscription sur la carte mémoire c’est le stockage. Le classement logiciel (numérotation, paramètres de prises de vues, dates etc…) c’est l’intégration.
Enfin, l’affichage de la photo après coup sur un écran c’est le rappel à la conscience.
Mais, il s’agit là du fonctionnement purement « technique » de la mémoire. C’est ainsi qu’elle fonctionne en l’absence de conscience de vos perceptions. Donc, en l’absence d’attention, en l’absence de concentration, en l’absence d’intention de mémoriser, en l’absence de consolidation par l’usage. Finalement, cela donne une mémorisation très moyenne.
Car elle ne concerne pratiquement que des données épisodiques de hasard : la musique qui s’échappe d’une voiture au moment où vous sortez de chez vous, la forme du chapeau de la personne que vous croisez, une crotte de chien sur le trottoir, l’heure affichée à l’enseigne de la pharmacie…
Vous n’êtes pas totalement non conscient de ces choses-là. Mais vous n’y faites pas plus attention que ça. Comme pour énormément de choses chaque jour.
Si vous êtes conscient de vos perceptions et, plus encore, si vous y prêtez attention, et encore plus encore si vous avez l’intention de mémoriser, alors le processus s’enrichit. Le résultat, c’est une mémorisation entre bonne et excellente.
La séquence cognitive de la mémoire
Continuons avec la comparaison de l’appareil photo.
L’attention c’est l’éclairage de la scène. Vous braquez le projecteur dessus. La concentration c’est la mise au point nette sur le sujet. Forcément, ce qui est derrière reste flou. A l’inverse, le manque d’attention se traduit par une scène mal éclairée. Et sans attention, faute de mise au point précise, ce qui est derrière le sujet encombre votre perception.
Alors, vous voyez tout de suite l’intérêt de l’attention et de la concentration.
L’attention c’est la conscience de vos perceptions. Ou d’une perception parmi d’autres que vous laissez de côté. Vous pouvez avoir froid, avoir mal aux pieds et subir le bruit d’un avion à réaction. Mais, vous n’y prêterez pas forcément attention.
Par exemple, si vous êtes un chasseur à l’affût en train d’observer un chevreuil qui va bientôt se trouver dans votre ligne de mire. Ou bien, si vous surveillez votre enfant qui vous inquiète parce qu’il roule en vélo en zigzagant.
Dans ces cas-là, votre attention ne se porte que sur le chevreuil ou sur votre enfant. Pas sur la température, ni sur vos pieds ou sur le bruit de l’avion. Nous sommes dans une situation inverse à celle de la surimpression des perceptions (cf. article « comment vous rappeler où vous avez mis vos clés »).
Au contraire, l’attention se rapporte toujours à quelque chose de précis. C’est la disponibilité d’esprit totale à ce quelque chose. En fin de compte, beaucoup de soi-disant problèmes de mémoire ne sont que du manque d’attention.
De mémoire, que représente le revers d’une pièce de 1 euro ?
En voici un exemple courant. Vous manipulez presque tous les jours des pièces de monnaie. Sur les côtés pile et face, il y a des inscriptions et des motifs. Sauriez-vous me dire, sans regarder (ne trichez pas!), ce que représente le revers d’une pièce de 1 € ?
Le revers, c’est le côté où figure le chiffre 1.
Que représente-t-il ?
Maintenant, pourriez-vous le dessiner grossièrement ?
Si vous ne le pouvez pas, ne concluez pas au manque de mémoire, cela n’a rien à voir.
Ne cherchez pas non plus une excuse dans le fait cela varie d’une pièce à l’autre. C’est vrai. Et faux… Seul l’avers varie d’un pays à l’autre. Et un même pays peut même changer son avers de temps à autre. Par exemple, le Vatican change son avers à chaque nouveau pape.
Seulement, le revers, lui, est toujours le même. Quel que soit le pays. Quelle que soit la date d’émission. Alors, vous ne voyez pas ?
Pourtant, depuis l’avènement de l’euro, vous avez manipulé des milliers de ces pièces. Et vous auriez dû retenir ce que représente le revers non ?
Alors?
Alors… rien ne vous vient ? Comment expliquez-vous ça ?
L’explication est simple. Ces pièces vous sont tellement familières que vous les voyez sans les voir. Vous ne les regardez pas vraiment. Probablement n’avez-vous jamais pris le temps de porter votre attention sur une face, puis sur l’autre, tout simplement.
Pourtant, c’est probablement le revers (où est inscrite la valeur de la pièce) que vous avez le plus regardé. Certainement, vous l’avez vu des milliers de fois. C’est extraordinaire de constater que malgré cela, la grande majorité des gens est incapable de répondre à cette question. Alors, que représente le revers?
Si vous connaissez la réponse bravo!
Sinon, vous êtes comme la plupart des gens. Sauf au tout début peut-être, vous n’avez jamais prêté beaucoup d’attention à ces petits objets du quotidien.
Maintenant, faites cette expérience. Interrompez votre lecture et allez chercher une de ces fameuses pièces de 1 €. Une seule. Peu importe de quel pays. Regardez attentivement le revers. Mentalement, mettez en mots votre observation : « sur une pièce de 1 euros le revers représente…. »
Et même, pour faire bonne mesure je vous suggère de faire un croquis grossier de ce que cela représente. Sur ce qui vous tombe sous la main, même une serviette en papier, un paquet de cigarettes ou la paume de votre main.
C’est fait ?
Le petit pari
Eh bien, maintenant, je fais un pari avec vous !
Ouvrez votre agenda à deux mois après la date d’aujourd’hui. Écrivez « qu’ai-je vu sur le revers de la pièce de 1 euros que j’ai examinée il y a 2 mois ? ».
Maintenant, je vous parie que, dans deux mois, quand vous retrouverez votre question vous saurez y répondre.
Et qu’aurez-vous fait pour obtenir ce miracle ?
Si vous vous êtes contenté d’observer, sans faire de croquis (je vous connais). Malgré tout vous avez fait attention pendant quelques secondes !
C’est tout.
Seulement, ça change tout.
Pour reprendre notre image de tout à l’heure, vous avez éclairé votre sujet. Si vous vous avez pris aussi la peine de reproduire le motif, vous vous êtes même concentré. Autrement dit, vous avez fait la mise au point. C’est encore mieux.
Et si vous avez fait cela à plusieurs, si vous en avez parlé ensemble, alors c’est encore mieux que mieux ! (Voyez à ce sujet mon article « un truc infaillible pour bien mémoriser : soyez bavard ! »).
Toutefois, en attendant, j’ai un aveu à vous faire.
Le grand pari
Je n’ai pas voulu vous effrayer en affirmant tout de go que vous n’oublierez jamais ce qu’il y a sur cette pièce. Mais maintenant je peux bien vous le dire. Si vous avez fait le dessin… eh bien dans six mois vous le saurez encore. Et même dans un an.
Et même, tiens, cette fois, je tiens avec vous un… deuxième pari !
Je vous parie carrément que, dans plusieurs années, vous vous en rappellerez encore. J’ai bien dit dans plusieurs années.
Faites l’expérience vous verrez bien… Et, quand vous aurez vérifié que j’ai raison, envoyez-moi une carte postale ! Je la mettrai en ligne c’est promis.
Je suis d’autant plus sûr de moi que, chaque fois que vous verrez ces pièces, c’est-à-dire souvent, même si vous ne les regardez pas attentivement, cela constituera une consolidation de l’image que vous avez mémorisée. Vraiment, c’est aussi simple que cela. Jusqu’à présent la consolidation ne consolidait rien du tout, maintenant elle aura quelque chose à se mettre sous la dent!
Mais encore faut-il le faire ! Vous n’avez pas idée du niveau important que l’absence d’attention atteint chez chacun de nous. Alors, pour vous convaincre de l’ampleur du phénomène, je vais vous raconter une histoire. Vous avez peut-être déjà vécu quelque chose de comparable vous aussi.
Une histoire de mémoire
C’est une histoire très personnelle mais je vous la raconte quand même. Ça reste entre nous bien sûr.
Autrefois, je portais la barbe. C’était il y a longtemps… Un beau dimanche, sans prévenir personne, je la rase complètement.
A votre avis que s’est-il passé ?
Eh bien, d’abord ma femme a été interloquée quand elle m’a vu sortir de la salle de bain. « Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? ». Il lui a fallu un moment pour comprendre. Mais, surtout le comportement de mon entourage professionnel est devenu étrange…
Le lundi, au travail, tout le monde me regardait d’un air bizarre.
On me jetait des coups d’œil à la dérobée en cours de réunion. On semblait vouloir me dire quelque chose mais, au dernier moment, on n’en faisait rien.
Le mystère plane…
Certains m’ont dit un peu après: « Il y a quelque chose de changé; tu n’as pas changé de coiffure, par hasard? » ou tout simplement : « Je te trouve changé, mais je n’arrive pas à trouver quoi ». Un autre, plus péremptoire : « Tiens, tu as changé de costume? »
Finalement, j’ai laissé planer le mystère et finalement on ne m’en a plus parlé.
Et puis, presque deux semaines plus tard quelqu’un s’est exclamé : « Tiens, tu as rasé ta barbe, aujourd’hui ! ».
Sapristi !
Il aura fallu deux semaines pour que quelqu’un identifie ce qui avait vraiment changé. Et encore, elle pensait que cela datait du jour même… !
Cette aventure vous rappelle-t-elle quelque chose ?
Des histoires comme celle-là, il y en a des centaines. Des gens qu’on a vus sans les regarder. Des choses qu’on a entendues sans écouter. Des films pas vraiment vus, des choses faites en état «d’absence » mentale, etc. Dans ces cas-là, la séquence neurologique est la seule à fonctionner et le résultat n’est pas brillant.
Faites ce test
Tenez, faites un test. Vous, monsieur, pouvez-vous me dire comment était habillée votre épouse ce matin ? Et hier matin? Beaucoup d’hommes ne font pas attention à l’habillement.
Vous, madame, je ne vous demande pas comment était habillé votre mari : comme tous les jours sans doute. Evidemment, ce serait trop facile… Et puis les femmes prêtent généralement attention à l’habillement. Mais la question vaut pour tout ce à quoi vous n’attachez pas d’importance. Par exemple, quelle est la marque de sa perceuse à tout faire ?
Quoi qu’il en soit, vous comprenez sans doute que l’attention est le premier maillon de la séquence cognitive. Cette séquence a ceci de particulier qu’elle n’est pas déterminée a priori. Contrairement à la séquence neurologique dont tous les maillons font toujours acte de présence (sauf cas de maladie neurologique évidemment).
En effet,, dans cette séquence cognitive, on n’est jamais certain de la présence de l’attention, de la concentration ou de la consolidation par l’usage. Ce sont des maillons « facultatifs » qui viennent se greffer ou non à ceux de la séquence neurologique.
Facultatifs c’est une façon de parler. C’est juste pour rappeler que, même sans ces maillons, il existe un canevas neurologique préexistant. Même sans attention, sans concentration, les perceptions arrivent quelque part. Mais pas forcément en bon état. Pas forcément capables de durer.
Alors, pour bien mémoriser, l’attention et la concentration sont vraiment primordiales
En effet, la meilleure mémorisation sera obtenue quand :
– la séquence neurologique est à son meilleur (voir l’article « Les secrets de la mémoire ».)
– et que toute la séquence cognitive est mobilisée.
D’abord l’attention. Ensuite, le deuxième maillon de cette séquence, c’est la concentration. La concentration est une fonction active. Allez, encore une métaphore : plus la concentration est bonne, plus les informations seront profondément gravées dans la cire de l’attention…
Si vous préférez la comparaison avec la photographie, je dirais que meilleure est la mise au point sur le sujet, plus nette est l’image. Plus le sujet va se détacher sur le fond.
En tout cas, la concentration consiste à mettre hors du champ de la conscience tout ce qui entoure l’objet de l’attention. Supposons un appareil photo de type « reflex ». Votre sujet est devant vous. Vous faites la mise au point dessus à grande ouverture. Que se passe-t-il dans le viseur ?
Faites la mise au point…
C’est spectaculaire. Vous voyez le sujet bien net mais surtout ce qui l’entoure est devenu flou. Cela vous donne une assez bonne idée du processus.
Comme un élève studieux vraiment concentré sur un devoir, si vous êtes vraiment concentré sur un dossier, vous n’êtes pas seulement attentif. Vous devenez insensible à ce qu’il se passe autour de vous. La plupart du temps, vous ne voyez rien d’autre. Vous n’entendez même pas si on vous parle. Vous êtes concentré.
A croire que vous êtes devenus sourd. Vous avez fait la mise au point sur votre travail et tout le reste est flou autour de vous. Notez aussi que la passion, l’intérêt, la motivation entraînent plus facilement la concentration.
Evidemment, vous comprendrez que cet état quasi-hypnotique ne peut se produire que si l’attention existe déjà. On ne peut se concentrer que si l’on est déjà attentif. La concentration suit (ou pas…) l’attention.
Voyons le processus : d’abord l’attention, c’est-à-dire une vraie réceptivité, une vraie conscience de ce que vous percevez, de ce que vous vivez. Ensuite, la concentration sur cette perception, en éliminant toutes les perceptions qui ne s’y rapportent pas.
L’attention donne à la perception sa lumière et ses couleurs. La concentration lui donne sa netteté en supprimant les perceptions périphériques. Donc, pour bien mémoriser, il faut donc être au moins attentif. Et même, si possible concentré.
Oui, mais comment ? Vous voudriez bien savoir hein?
Un peu de patience… nous verrons ça dans un prochain article… D’abord la vulgarisation scientifique, ensuite les travaux pratiques !
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