Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

L’oubli est-il absolu ou est-ce le chemin d’accès qui est effacé ? Peut-on retrouver des souvenirs oubliés ? Y a-t-il des stratégies pour ralentir l’oubli ?

Dans mon dernier livre, je parlais des ratés de la mémoire et de l’oubli. Mais je n’avais pas encore traité de l’oubli ici, dans le blog. Je répare donc cette lacune.

Ça vous intéresse ? Allez, on y va.

Cet article à été mis à jour le 31 mars 2022

D’abord, l’oubli c’est quoi ?

Oh ! Comment ça, une question à la c… ? Mais pas du tout ! Est-ce que vous pourriez me dire, vous, ce que deviennent les informations que vous oubliez ? Est-ce qu’elles restent quand même stockées quelque part ou est-ce qu’elles sont détruites ? Ah, je vois… que vous n’avez pas la réponse.

Ben, pourtant ça change quelque chose. Entre nous soit dit, si elles ne sont pas détruites, il y aurait peut-être un moyen de les récupérer, non ?

Maintenant que le cadre est posé, on peut tenter une première réponse empirique. L’oubli, c’est quand vous ne vous rappelez-pas. Apparemment, l’information n’est plus là. Manque à l’appel, introuvable, évaporée… Seulement vous avez connu des cas où l’information est revenue après coup, et d’autres cas où, rien à faire, c’est terminé.

Par exemple, cela fait au moins 20 ans que vous n’arrivez plus à vous rappeler le nom de ce condisciple qui faisait rire la galerie en Maths Sup et pourtant vous l’avez cherché souvent. Eh bien, supposez que je vous présente une liste d’une vingtaine de noms parmi lesquels j’aurais glissé le sien.

Je suis prêt à parier que vous le retrouveriez parmi les autres. Vous utiliseriez pour ça votre mémoire de reconnaissance, Une de vos nombreuses mémoires. J’en parle évidemment dans « Prouesses de mémoire » (va falloir vous y faire, je fais la promo de mon bouquin…). Mais il semblerait que je n’en parle pas dans mon article « Combien  avez-vous de mémoires? ».

Eh non, je ne vous dit pas tout, j’en garde pour la bonne bouche. Mais je l’ai évoquée tout de même dans « Comment l’homme préhistorique mémorisait-il? » et un peu aussi dans « 205 neurones suffisent pour coder votre visage« … Voilà, fin de mon autopromotion…

Une histoire de QCM

Toujours est-il que ce n’est pas pour rien qu’on a inventé les QCM. C’est à dire, les question à choix multiples. Je me demande d’ailleurs quel polytechnicien a inventé un nom pareil. Mais je m’égare. Vous savez ce que c’est: vous avez une question et on vous donne gentiment la réponse… mélangée à des réponses fausses qu’on appelle des « distracteurs » (je tenais aussi à la placer celle-là !). C’est ça, un QCM

Si on a inventé ça, c’est probablement pour des questions d’économie de temps. Mais c’est aussi un quasi miracle pour les personnes émotives. Il arrive, en effet, que ces dernières perdent tous leurs moyens en interrogation orale. J’imagine que ce doit être assez terrible de se trouver comme au bord de l’abîme, paniqué à mort, et incapable de se rappeler quoi que ce soit de ce que l’on sait pourtant. Pour ces personnes le QCM est un sauveur.

Parce que, même si vous ne vous rappelez plus de rien, vous pourrez toujours reconnaître la bonne réponse à chaque question. La mémoire de reconnaissance est l’antidote à l’oubli. Dans ce cadre, l’oubli apparaît donc comme un oubli temporaire. Vous saviez mais, sous le coup de l’émotion vous ne « saviez » plus. En fait, si. Avec le QCM vous retrouvez bel et bien l’information dès lors qu’on vous la présente, même mélangée à beaucoup de « distracteurs ».

Mais essayons de comprendre scientifiquement l’oubli.

L’oubli selon Ebbinghaus

Ce qu’on appelle habituellement « oubli » c’est simplement la perte du rappel. Cela laisse entière la question des savoir s’il peut exister un « oubli absolu », c’est à dire un effacement total et définitif de l’information dans votre cerveau. Nous y reviendrons. Disons pour le moment que l’oubli, au sens habituel, n’a été vraiment étudié qu’il y a environ un siècle.

Le philosophe allemand Ebbinghaus, non content d’avoir inventé les principes de la psychologie expérimentale, les a appliqués sur lui-même en ce qui concerne la mémoire. Pendant 3 ans, il n’a cessé d’apprendre des listes de logatomes ou de paralogues. C’est à dire des syllabes constituées de 3 ou 4 lettres et la plupart du temps sans signification. Il en avait fabriqué plus de deux mille.

Il en faisait des listes de différentes longueurs. Puis il chronométrait le temps qu’il lui fallait et combien de répétition il lui fallait pour les connaître par cœur. Ensuite il cherchait à se rappeler ses listes après des temps de latence donnés. Il consignait le pourcentage d’exactitude après quelques heures, quels jours  ou quelques semaines.

Tous ces résultat, regroupés en tableaux sont donnés in extenso dans ses ouvrages. Aujourd’hui encore, c’est la base de toutes les études expérimentales sur l’oubli. Et vous savez quoi ? Toutes les études contemporaines donnent les mêmes résultats que ceux d’Ebbinghaus.

Ces résultats, vous en avez déjà entendu parler sous l’appellation « la courbe de l’oubli d’Ebbinghauss« . Courbe, c’est beaucoup dire. Malgré ce que raconte Wikipedia, je n’ai pas trouvé cette courbe dans son livre dont j’ai la traduction française parue en 1910 . Maïs, évidemment, on peut mettre les données de ses tableaux en abscisses et en ordonnées et, effectivement, tracer une courbe de l’oubli.  La voici, telle que vous la trouverez sur excellent site sydologie.com.

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En fait, c’est plutôt une courbe de la rétention… Vous pouvez tout de même constater que vous avez, en moyenne, 20 % de rétention au bout d’une semaine. C’est à dire 80 % d’oubli. Sauf si…

Contre l’oubli: les répétitions espacées

Ebbinghaus a été, pour l’époque un expérimentateur exceptionnel. Aujourd’hui encore, les tests basiques de mémoire se font sur des rappels de listes. Sauf qu’on étudie  désormais aussi des listes d’images ou de phrases, par exemple. Mais Ebbinghaus est plus que cela. Il est le premier à avoir découvert la mémoire à court terme. Et, plus encore, celui qui a eu l’idée de tester  les répétitions espacées.

Ces dernières sont très à l’honneur aujourd’hui dans le monde estudiantin mais cela ne fait pas si longtemps. Alors qu’Ebbinghaus a établi leur bien-fondé il y a plus d’un siècle. L’Homme est bien oublieux parfois… Notez que cela ne concerne pas que les étudiants. Il n’y a pas de mémorisation sans répétition. Donc cela vous concerne aussi pour retenir le nom des gens, l’argument d’une conférence ou une liste de choses à faire. Etc.

Par exemple, il lui a fallu 68 répétitions pour retenir une liste difficile. Il teste alors l’apprentissage d’une autre liste de difficulté similaire. Celle-là, il la répète seulement 18 fois. Mais 12 fois le lendemain. Puis 8 fois le troisième jour et obtient alors une bonne mémorisation. Au total, il n’aura donc fait que 38 répétitions et obtenu le même résultat qu’avec 68 répétitions consécutives.

Autrement dit, avec 44 % de répétition en moins, il obtient le même résultat. Evidemment, il a recommencé cette expérience des dizaines de fois. Et, il faut se rendre à l’évidence, ce qu’on appelle aujourd’hui l’apprentissage distribué (un autre polytechnicien a dû passer par là…) est plus efficace et moins coûteux en énergie que l’apprentissage massé

Pour vous faire une idée, voyez a courbe tracée par un autre très bon site penserchanger.com.. Ici, l’échelle n’est plus en jours mais en mois. La courbe de Penserchanger (et non pas d’Ebbinghaus…) est sans doute un peu optimiste pour la performance à 6 mois, mais vous saisissez le principe.

Courbe d'Ebbinghaus

Oubli = effacement du chemin d’accès
Répétitions = consolidation du chemin d’accès

L’efficacité des répétitions espacées n’est plus à démontrer. Mais le fait que les répétitions ravivent l’apprentissage amène à penser que c’est plutôt le chemin d’accès qui s’affaiblit avec le temps. Toutefois une répétition ne pourrait-elle pas être assimilée à un nouvel apprentissage? Donc l’argument ne serait pas probant.

Sauf qu’Ebbinghaus a calculé que chaque répétition permet le rappel de la liste nettement plus vite que lors du premier apprentissage. Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce gain de temps, si ce n’est le fait que l’information était bien toujours présente en mémoire ? Ebbinghaus va donc poursuivre ses recherches. Il se lance dans le réapprentissage de listes totalement oubliées. Dans ces cas-là, le nouvel apprentissage est toujours plus rapide que lors de l’apprentissage initial.

Pour la première fois, dans l’étude de la mémoire, on peut affirmer que l’absence de rappel (oubli apparent) ne signifie donc pas que les données soient perdues. Et cela nous amène aussi à la conclusion suivante : l’oubli est normal. L’oubli est un processus naturel. Et cela entre en résonance avec les dernières découvertes scientifiques.

Répétitions et neurones en veille

Je m’en suis déjà fait l’écho dans ce blog. Figurez-vous que l’on a découvert que, lors d’une répétition, les circuits de neurones qui ont participé à la mémorisation initiale « s’allument » plus vite. Si la répétition est très proche de cette mémorisation, il s’ensuit qu’ensuite, les circuits en question ne « s’éteignent » pas complètement.

Toute la chaîne neuronale reste à bas bruit sous tension. De sorte que l’influx nerveux, se déplace plus vite de neurone en neurone. Lors de la répétition suivante, cela s’améliore encore… La répétition s’avère donc une antidote à l’oubli.

Ça, c’est pour le principe général. Mais la découverte la plus importante, c’est que chaque répétition apporte une rémanence de la mémorisation plus importante que la répétition précédente. En d’autres termes, à chaque répétition, les circuits concernés restent plus longtemps  en veille, qu’à la répétition précédente. Donc il est possible d’augmenter au fur et à mesure le temps entre chaque nouvelle répétition sans perdre en efficacité.

Une condition importante

La mémoire de reconnaissance, en synergie avec les répétitions espacées, c’est ce qui se fait de mieux pour ne pas oublier. Il  y a quand même une condition: c’est que la première répétition doit avoir lieu le plus rapidement possible après la mémorisation initiale. Dans les minutes qui suivent si c’est possible.

C’est pourquoi, pour la mémoire des noms. (Voir mon mémento « Comment mémoriser le nom de vos interlocuteurs… » que vous pouvez recevoir gratuitement en vous inscrivant  dans le formulaire bleu en haut à droite de cette page), il est recommandé de répéter systématiquement le nom des gens qu’on vous présente.

« Enchanté monsieur Durand » vous permet de bien commencer. Et je vous donne par ailleurs le « truc » répéter encore son nom dans la conversation sans que Monsieur Durand s’en rende compte le moins du monde…

(A suivre)

Une question n’est pas résolue: peut-il y avoir un oubli absolu? Je vais y revenir un jour. Attendez-vous à une rallonge à cet article… A bientôt !