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VULGARISATION SCIENTIFIQUE

Mémoire: avez-vous le neurone de Bill Clinton? 

(Note: cet article est dédié aux sujets de cette expérience, qui a bien fait avancé la science…)

Nous avons tous, un jour ou l’autre, eu des difficultés avec le visage des autres. C’est sûr, je l’ai déjà vu celui-là. Mais où ? Et c’est qui ? Ah oui, j’y suis, c’est le vendeur de voiture chez XXX. Il s’appelle comment déjà ?

J’aurai l’occasion, au fil du temps, de traiter ce ces  questions. Pour celle-ci:  comment lier un visage et un nom pour ne plus avoir à hésiter, c’est déjà fait dans l’article « Comment retenir facilement le nom de vos interlocuteurs… »   Mais aujourd’hui je vous propose une plongée dans vos neurones.

Comment faites-vous pour savoir que vous avez déjà vu cette personne ? Même si son nom vous échappe qu’est-ce qui vous permet de penser que vous l’avez déjà vu ? Je connais d’avance votre réponse. Vous allez me dire :

« Parce que je la reconnais ».

Entre nous, ça n’explique rien. Si vous le « re »-connaissez c’est que vous avez déjà enregistré ce visage quelque part. Mais comment ?

Une théorie qui a eu son heure de gloire est celle du « neurone grand-mère ». Selon son énoncé, ce neurone « s’allume » quand vous voyez votre grand-mère. Cette théorie semble due au neurologue Jerry Lettvin et date des années 60.

Encore fallait-il le prouver. Mais aucun laboratoire n’a trouvé de neurone frétillant à la vue de votre grand-mère . Alors,  si faute de grand-mère on se contentait de Bill Clinton ou de Jennifer Aniston ?

Une équipe de Los Angeles (qui travaille sur des patients épileptiques) a identifié de tels neurones. L’un qui ne « s’allume » que devant une photo de Bill Clinton et l’autre devant une photo de Jennifer Aniston !

Il parait que ces gens-là sont connus à Los Angeles. Pour ce qui me concerne, je suis bien certain de ne pas avoir de neurone Jennifer Aniston, je ne sais même pas qui c’est.

Mémoriser un visage avec un seul neurone?
Ou avec des milliers de neurones?

Est-ce qu’on pourrait-donc imaginer qu’un seul neurone ait emmagasiné le portrait de Jennifer ?

C’est un peu court. D’abord comment ce portrait est-il arrivé-là ? Est-ce que par hasard la vue n‘y serait pas pour quelque chose avec ses dizaines de milliers neurones ? N’y a-t-il pas eu transmission au cerveau ? Intégration dans des connaissances préexistantes ? Sans oublier le lien sémantique avec le nom de le personne etc.

La seule chose que l’on peut dire c’est que ce neurone unique manifeste une activité électrochimique quand la grand-mère, pardon… Jennifer, est reconnue. Mais cela ne prouve même pas que ce soit ce neurone-là qui effectue la reconnaissance. N’oubliez pas les dizaines ou centaines de milliers de neurones qui ont œuvré à partir de la présentation de la photo.

Accessoirement, n’oubliez pas non plus que cette découverte a été faite chez des patients épileptiques dont l’activité cérébrale est inhabituelle.

Toujours est-il que, faute de théorie explicative de la reconnaissance des visages, on avait, jusqu’à hier, une double certitude.

D’abord le fait qu’il existe une infinité de visages de par le monde. Qu’un visage est donc très difficile à décrire. C’est vrai. Essayez un peu pour voir. Décrivez-moi un visage que je n’ai jamais vu de telle sorte que je puisse à coup sûr identifier son propriétaire dans la rue. Ou que je puisse le dessiner.

Chiche !

Rien à faite, c’est au-dessus de nos forces. D’où la seconde certitude. C’est que si nous sommes capables de reconnaitre quelqu’un alors notre cerveau doit mobiliser des centaines de milliers de neurones pour y a parvenir.

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Non.

Avec l’imagerie moderne on peut observer vos neurones pendant que vous mémorisez…

Un article de l’Institut de Technologie de Californie, vient en effet de lancer un pavé dans la mare.  Selon leur étude les visages sont codés par 205 neurones spécialisés. Là où l’on imaginait que des milliers de neurones étaient nécessaires pour coder les caractéristiques d’un visage, il s’avère que 205 suffiraient.

Poisson d’avril ?

Même pas. J’ai vérifié, ça a été publié le 1er juin 2017…

La chose a fait sensation dans le Landerneau neuro-scientifique, vous pensez. Et, en dehors des revues scientifiques de référence, l’article a été repris et commenté notamment par Sciencemag.org, par le blog de lovepotter.com et, en France par la revue Sciences et Avenir. Mais aussi par de multiples journaux, scientifiques ou non, le Guardian en tête..

L’étude a été conduite par Doris Tsao et Le Chang à Pasadena. A l’Institut de Technologie de Californie.
En quoi consiste-t-elle ?

Ben c’est simple : d’abord on vous montre une photo de visage. Pendant que vous la regardez on repère dans votre cortex temporal inférieur les neurones qui se démènent pour enregistrer ce visage. Ensuite on les compte ! C’est tout. On en trouve 205.

Élémentaire non ?

Mais comment être sûr que d’autres neurones ne sont pas intervenus en douce? Des neurones qui n’auraient pas été repérés. Il fallait trouver un moyen de vérifier l’efficacité de ces 205 neurones en mettant tous les autres hors-jeu.

L’expérience ne s’arrête donc pas là.

… mais il faut quand même vous brancher
des électrodes dans le crâne!

Nos chercheurs ont profité de la situation pour vous implanter une électrode dans chacun des neurones impliqués. Bon, c’est un peu destructeur. Pour tirer un fil jusqu’aux bons neurones il faut percer des trous dans votre boîte crânienne. Ensuite il faut se frayer un passage et ça va être assez destructeur.

Pas sûr que vous sortiez indemne de l’expérience.

Il se pourrait d’ailleurs que vous ne retrouviez pas toutes vos facultés en sortant du labo. Mais je vous rassure : même si c’est au prix de capacités cérébrales diminuées, vous allez survivre à l’opération. Et, en plus le cerveau n’est pas sensible à la douleur. Même pas mal.

Mais quand même c’est bien, ce que vous faites. Vous êtes courageux. Merci beaucoup pour la science.

Maintenant que va-t-on faire avec ces 205 fils électriques qui vous sortent du crâne ? Eh bien ils vont permettre de mesurer les signaux électriques émis par vos 205 neurones spécialisés.

Et avec ces données on va faire quoi ? Ben, un modèle mathématique. Les chercheurs sont partis de (ou arrivés à) l’hypothèse que le visage humain est codé selon des caractéristiques physiques telles que : écartement entre les deux yeux, grain de la peau, couleur des cheveux, couleur des yeux, ligne frontale de l’implantation capillaire etc. En tout 50 variables.

La découverte de l’équipe de Tsao c’est que, avec ces 50 valeurs on peut reconstituer un visage humain. L’idée est d’injecter ces valeurs dans un programme informatique chargé de dessiner un visage avec ça. Est-ce que ça va marcher ?
C’est qu’il y a des milliards de visages différents…

On croyait donc jusqu’à maintenant qu’il fallait des quantités de données pour caractériser un visage. Mais non : 50 données suffisent. Des données quasiment mathématiques : des axes, des longueurs… Et il est vrai qu’avec 50 données variables sur une échelle linéaire, on peut bel et bien obtenir des milliards de résultats différents.

Le résultat est là:
ces 205 neurones ont vraiment tout enregistré!

L’hypothèse de travail c’est que vos 205 neurones spécialisés stockent ces 50 données. Et que si on arrive à les récupérer pour les injecter dans un ordinateur programmé pour traiter les données (axes, longueurs, aspects, couleurs etc.) celui-ci devrait produire un visage ressemblant à celui que vous observez.

Et alors ?

Ça marche du feu de dieu !

Pendant que vous regardez la photo d’un visage, vos 205 neurones produisent une activité électrique. On la capte avec les électrodes qu’on vous a implantées. La valeur de la réponse électrique de chaque constitue une mesure de la variable dont s’occupe ce neurone. Par exemple : plus l’écartement des yeux est important plus la réponse électrique du neurone concerné l’est aussi.

Et vice versa.

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En d’autres termes la réponse est proportionnelle à la valeur de la variable.

En fait le programme informatique va traduire les réponses électriques des neurones en valeurs numériques dans les 50 champs identifiés. Pour rester sur l’exemple de l’écart entre deux yeux la réponse électrique sera traduite en millimètres. Pour les couleurs, on connait la réponse électrique à la vue des yeux bleu, marron ou vert. Selon la réponse électrique le programme va assigner une couleur etc.

En fin de compte l’ordinateur va cracher un portrait-robot.

Et ça marche étonnamment bien. Vous regardez un visage. Vos 205 neurones produisent des réponses captées par les électrodes. On les injecte dans le programme qui les transforme en valeurs et sort le portrait correspondant.

La preuve par les sorties d’imprimante

Et vous savez quoi ? On ne fait quasiment pas la différence entre la photo que vous regardez et la sortie d’imprimante ! Preuve qu’il n’y a pas besoin de supposer d’autres neurones à la manœuvre. . Vos 205 neurones suffisent pour coder tous les visages du monde.

D’ailleurs regardez. Voici les photos fournies par l’Institut de Technologie de Californie. En haut les photos qui vous ont été présentées. En bas, la reconstitution à partir des signaux de vos neurones faciaux.

Imaginez où ça nous mène !

Par exemple je vous montre un visage que l’expérimentateur ne connait pas. Il mesure vos réponses neuronales et sa machine crache le portrait correspondant ! Il sait qui vous regardez…On imagine tout de suite des applications en police scientifique ou en intelligence artificielle par exemple.

En tout cas l’expérience démontre que ces 205 neurones suffisent bel et bien à produire un facsimilé du visage observé. Ce qui signifie qu’ils sont spécialisés dans la mesure des caractéristiques faciales. On commence d’ailleurs à les appeler les « neurones faciaux ».

Plus fort encore, chacun de ces 205 neurones est hyper spécialisé.

Par exemple, il y a un neurone qui se contente de donner un signal correspondant à l’écartement entre les deux yeux. Prenez une centaine de portraits différents mais qui ont une caractéristique commune : le même écartement entre les yeux. Eh bien votre neurone métreur va produire le même signal pour les 100 portraits.

Même chose pour d’autres paramètres. Par exemple, tel neurone va donner un signal quand il voit du rouge. Peu importe qu’il voit du rouge pur ou du rouge dans du orange. Même signal dans les deux cas. Sauf que dans le second cas, le neurone qui réagit au jaune va envoyer aussi son signal. Ce qui permettra au cerveau de conclure à la couleur orange.

Environ la moitié des 205 neurones fait des mesures,
l’autre moitié identifie…

En fait la moitié des neurones font des mesures spécialisées. L’autre moitié identifie des caractéristiques : grain de peau, couleur des cheveux par exemple. C’est tout. Une solution très économique pour stocker un visage.

Avec les données envoyées par tous les neurones faciaux le cerveau construit un portrait. Où cela se passe-t-il ? L’étude ne le dit pas. Mais soyez sûr que ça se produit.

Finalement on n’a rien inventé Quai des Orfèvres. Pour faire un portrait-robot, on vous demande précisément ce genre de données : longueur du nez, écartement et couleur des yeux, la forme des oreilles, la largeur de la bouche, la couleur des cheveux… Ce que vos neurones spécialisés sont capables de coder.

Et la mémoire dans tout ça ? Ben la mémoire, elle semble absente de l’affaire ! Mais, rassurez-vous, elle n’est pas loin…
Reprenons les séquences de l’expérience. On vous montre une photo de visage, vos neurones spécialisés émettent des signaux, on les capte, on les envoie dans un programme informatique, ce dernier reconstitue le visage et l’imprimante crache une copie quasi conforme à la photo que vous avez entre les mains.

Vous n’avez pas eu à mémoriser. Tout s’est passé en direct, pas en différé. Ce qui serait intéressant c’est de voir si ça marcherait aussi quand vous pensez (donc de mémoire) au visage de l’expérience. Ça n’a pas encore été tenté parce que vous ne seriez pas en mesure de nous dire à qui vous pensez. C’est à cause de qui vous êtes. On va voir ça tout à l’heure.

La seule chose que l’on peut dire c’est que vos 205 neurones suffisent pour coder un visage. Et encore c’est impropre de parler ainsi. Pour être plus précis : il suffit de 205 neurones pour attribuer une valeur à 50 paramètres qui permettent de reconstituer l’image d’un visage.

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Toutefois, votre mémoire devrait se trouver aux aguets…

… tandis que des milliers d’autres neurones mémorisent

En effet, il est certain que la configuration correspondant au visage observé est conservée. Sinon, vous ne pourriez jamais reconnaître quelqu’un. Par configuration j’entends les valeurs des 50 paramètres identifiés par l’équipe de Pasadena.

Pour stocker cette configuration, ainsi que le nom de la personne, ou tout autre élément le concernant, vous ne pouvez guère compter sur ces 205 neurones. Sinon, ils devraient stocker les valeurs de tous les visages que vous connaissez depuis que vous êtes sur cette terre…

Inimaginable.

Il est donc peu probable que les 205 neurones « codeurs » soient impliqués dans la mémorisation de ces valeurs. Ou alors a minima. Ne serait-ce que pour envoyer les valeurs à un autre réseau neuronal. Et là, il faut certainement envisager des milliers de neurones.

Voss neurones faciaux ne voient pas les visages. L’information doit déjà cheminer depuis l’œil jusqu’aux aires visuelles du cerveau. Celles-ci, en gros, sont quasiment dans la nuque. On n’a pas les yeux derrière la tête, mais les aires visuelles si !

L’information doit ensuite arriver aux fameux neurones faciaux. Eux sont dans le cortex temporal inférieur. Sur le côté, si vous voulez. Cette aire-là a une frontière commune avec l’aire occipitale où se trouvent les aires visuelles. Ça fait des économies de transport.

Naturellement vos circuits sémantiques sont activés. C’est ce qui vous permet de dire que vous voyez un visage et non pas une machine à laver. Des circuits cérébraux vont devoir se mettre en branle ensuite pour construire un visage à partir des mesures et des caractéristiques envoyées par les neurones visuels.

Y aurait-il d’autres neurones « codeurs » pour les formes?

Si ces 205 neurones travaillaient tout seuls dans leur coin ça vous ferait une belle jambe. Ils interviennent évidemment au sein d’un processus complexes. Et cette découverte pose plus de questions qu’elle n’en résout.

D’abord, contrairement aux gros titres de la quasi-totalité des articles que j’ai lus, ces 205 neurones ne font pas de la reconnaissance faciale. Ils font du codage, c’est différent. Comment se fait la reconnaissance ? La question ne semble pas résolue.

Ensuite cette expérience ouvre la question de l’identification des formes de façon plus générale. Si très peu de neurones peuvent coder une chose apparemment aussi complexe qu’un visage, pourquoi n’en irait-il pas de même pour d’autres formes ?

Par exemple d’autres parties du corps. Ou la silhouette de mon chat. Ou la forme de votre voiture etc. Et comment sont codés les formes plus simples comme les cubes, les sphères, les pyramides, les cylindres ? Cézanne prétendait que, pour représenter en peinture il partait de ces volumes élémentaires, qu’il fallait « habiller » ensuite. Et si le cerveau était capable de coder de cette façon un corps entier ?

Parmi les diverses questions ouvertes, on ne peut pas éviter non plus de penser aux personnes atteintes de prosopagnosie. Je suis sûr que vous connaissez ça : c’est l’impossibilité de reconnaître un visage. J’ai appris ça en lisant le neurologue américain Olivier Sacks que je vous recommande d’ailleurs. Notamment en français « l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau ».

Ce n’est pas fréquent mais c’est évidemment très pénalisant pour les personnes atteintes. Parmi celles-ci on compte, par exemple, des personnalités comme Thierry Lhermitte ou Brad Pitt. Et d’autres plus anonymes. Ont-ils un problème avec leurs neurones faciaux. En sont-ils démunis ? Ce sera l’objet d’un autre article évidemment.

Evidemment je vous dois la vérité maintenant…

En attendant ce moment j’ai un terrible aveu à vous faire. Promettez-moi de ne pas vous fâcher d’accord ? Promis ? Alors voilà : vous n’êtes pas un humain, vous êtes êtes un macaque. Vous ne le saviez peut-être pas mais, pour être précis, vous êtes un macaque rhésus.

Vous pensez bien que les humains ne vont pas se faire des trucs destructeurs dans le cerveau ! Faire des trous dans le crâne… descendre des électrodes dans les neurones faciaux… détruire au passage des milliers de neurones… Les chercheurs ne vont pas faire ça à leurs congénères.

Ça tombe bien vous étiez là.

Docile, poli, bien élevé, prêt à servir la science. Je vous en ai déjà remercié au début de cet article. Parce que, c’est vrai que deviendrait-t-on sans vous ? En même temps, je suis tout de même sincèrement désolé qu’on ne vous demande pas votre avis. Ma seule consolation c’est que vous me lisez en ce moment. Ça me fait plaisir de savoir que je suis lu par un singe rhésus, ça élargit mon lectorat. Un plaisir attristé pour tout dire…

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