Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

L’enzyme PKR est-elle l’enzyme tueuse de votre mémoire ? Ou une tueuse de neurones ? Ces titres d’articles, dans la presse en ligne, m’ont donné envie de le vérifier… Car il y a souvent un grand écart entre les comptes-rendus de recherches scientifiques et leurs traductions journalistiques.

Alors, sommes-nous trompés par des titres racoleurs à la Barnum ou y a-t-il quelque chose de sérieux là-dessous ? Eh bien c’est ce qu’on va voir ensemble. Attention c’est de la vulgarisation scientifique, pas un article pratique.

Donc, si vous cherchez à améliorer votre mémoire, autant vous le dire tout de suite, cet article ne vous sera d’aucune utilité ! Vous allez vite comprendre pourquoi.

Introduction

Ce blog essaie de naviguer équitablement entre deux types d’articles. Les articles pratiques (« comment faire pour ? ») et les article de vulgarisations scientifiques. Dans ces derniers, j’essaie de rester toujours compréhensible. Cela m’amène à simplifier beaucoup. Et ne pas descendre trop bas dans les recherches pointues.

C’est peut-être une erreur. Après tout, même les recherches les plus pointues sur un sujet très délimité peuvent être exposées de façon compréhensible. La question est plutôt : est-ce que ça vous intéressera. Eh bien, ce sera à vous de me le dire.

Aujourd’hui j’ai pris comme sujet l’enzyme PKR. Un sujet que je n’aurais évoqué normalement qu’en quelques lignes dans le cadre d’un article plus général. Pourquoi approfondir un sujet si étroit ?

Eh bien pour vous donner une idée de ce sur quoi les chercheurs travaillent. En général ce sont sur des sujets très pointus qui les occupent très longtemps. L’enzyme PKR n’est d’ailleurs qu’un sujet de recherche parmi des centaines d’autres.

Et pour la PKR, des centaines et des centaines de chercheurs de par le monde y travaillent depuis plus de quinze ans. Et la recherche est encore loin d’être arrivée à terme. Je vous propose de faire un point d’étape sur cette question pointue, loin des centres d’intérêts habituels du grand public.

C’est aussi une façon de comprendre comment fonctionne la science. De toucher du doigt les causes de sa supposée lenteur. D’avoir une idée de la complexité d la recherche sur la mémoire.

Comme vous le savez sûrement déjà l’enzyme PKR est le petit nom de la protéine kinase R. Vous pouvez rencontrer l’une ou l’autre appellation dans les articles scientifiques. C’est la même chose. En fait, toutes les enzymes sont des protéines.

Toutefois, la réciproque n’est pas vraie. Une enzyme est en effet une protéine spéciale, qui produit des effets très spécifiques, disons pointus. Une protéine classique a des effets plus globaux dans l’organisme.

Ceci posé, allons-y !

Contexte particulier de l’enzyme PKR

L’enzyme PKR (protéine kinase R) est une protéine cellulaire qui joue un rôle crucial dans la réponse immunitaire antivirale. Ainsi, lorsqu’une cellule détecte la présence d’un virus, elle active la production de PKR.

Cette enzyme reconnaît alors les ARN double-brin caractéristiques des virus et les utilise comme signal pour arrêter la synthèse protéique en phosphorylant l’eIF2α qui est le facteur d’initiation de la traduction eucaryote 2 alpha. Élémentaire, n’est-ce pas ? Vous connaissant, je suis sûr que vous me suivez.

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Bon. Donc cette phosphorylisation bloque la traduction de la plupart des ARNm cellulaires, ce qui réduit évidemment la production de protéines virales et aide ainsi à limiter la propagation de l’infection. Jusque-là, c’est beau comme l’Antique. Mais il y a un mais.

En effet, cette inhibition de la traduction cellulaire peut également avoir aussi des conséquences néfastes pour la cellule hôte. En effet, elle bloque la production de toutes les protéines et pas seulement des protéines virales. Cela peut amener parfois la cellule à l’apoptose (mort cellulaire).

Autant dire que l’activation de PKR et la régulation de la traduction des ARNm sont des processus finement régulés dans la réponse immunitaire antivirale. Cela vaut mieux pour nous ! (Sauf évidemment s’il s’agissait de cellules cancéreuses, auquel cas on applaudirait des deux mains).

L’enzyme PKR et la mémoire

Chez les humains

Au début des années 2010, le professeur Hugon (Paris Descartes, Lariboisière, INSERM) avait traité la PKR d’enzyme tueuse de la mémoire. Ce terme grandiloquent ne vient donc pas des journalistes mais d’un chercheur ! Il faut dire qu’il en avait trouvé une énorme quantité dans les ponctions lombaires chez des patients atteint par la maladie d’Alzheimer. Néanmoins, l’expression parait exagérée.

L’éminent spécialiste nous explique également que, non content de pouvoir entrainer la mort de neurones, PKR produit aussi de l’inflammation qui met en route la production des protéines Tau et bêta-amyloïdes qui tapissent les neurones dans la maladie d’Alzheimer.

Et nous savons que, après les premiers symptômes de désorientation (déficience de la mémoire spatiale), l’ensemble des mémoires finit par être touché. Donc notre PKR est non seulement une « tueuse » potentielle de neurones mais serait une tueuse quasi certaine de la mémoire.

Si l’on suit bien le raisonnement, à l’arrivée d’un virus, la cellule produit des PKR, d’où l’arrêt de la production de toutes les protéines. Sauf que la KPR produit finaelement de l’inflammation qui met en route la production de Tau et bêta-amyloïdes qui vont saturer les neurones.

Ce n’est pas dit, mais on croit comprendre que ça déclencherait une maladie d’Alzheimer. On gagnerait contre le virus mais au prix d’une dégénérescence cérébrale ?

Pour être complet, il faut préciser qu’une étude américaine avait montré à l’époque qu’on trouvait aussi énormément de PKR dans des ponctions de personnes atteintes de trisomie 21.

Et il se trouve que, de façon il est vrai très variable selon les individus, les personnes trisomiques peuvent avoir également des difficultés d’apprentissage et des problèmes de mémoire. Tout ça a bel et bien un air de famille.

Chez les souris Ts65Dn

Ce schéma se retrouve aussi dans des études sur des modèles animaux. Par exemple sur des souris de laboratoire. A ce sujet, il faut savoir que les chercheurs disposent de lignées de souris porteuses d’anomalies cognitives. Notamment des souris trisomiques ou « alzheimeriennes ». Ces souris ont des difficultés d’apprentissage.

L’équipe américaine citée plus haut, menée par le professeur Walter, a travaillé sur les souris Ts65Dn qui sont (je ne vous apprends rien…), en quelque sorte des souris trisomiques 21. Elle a constaté que la production de protéines dans l’hippocampe de ces souris était jusqu’à 39 % inférieure aux autres.

Ce serait un mécanisme automatique. Quand une cellule hippocampique détecte une anomalie, par exemple trop de PKR, elle réduit la production d’autres protéines pourtant nécessaires pour les fonctions cognitives supérieures. Il s’ensuit des troubles mnésiques.

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Les chercheurs ont également remarqué que la PKR est également impliquée dans la réponse cellulaire au stress. Celle-ci consiste en effet en la production de plusieurs enzymes, dont la PKR, peut-être sous l’influence du cortisol (« l’hormone du stress »).  

Pour résumer, disons que :

  • l’équivalent d’Alzheimer ou de trisomie 21 chez les souris font produire de la PKR qu’on retrouve dans les neurones de l’hippocampe
  • Le stress a un effet similaire, il fait produire plusieurs protéines et de la PKR
  • la PKR induit les neurones à réduire la productions de protéines utiles aux opérations cognitives. On le constate dans l’hippocampes des souris Ts65Dn.
  • Un autre constat est l’existence de signaux inhibiteurs qui « dissuadent » leur cerveau d’acquérir de nouvelles informations et de les stocker à long terme.

Faut-il rappeler que l’hippocampe est une zone cérébrale fortement impliquée dans la mémoire et la spatialisation ?

Un exemple d’expérience scientifique

Par manipulation génétique sur ces souris, en supprimant le gène codant pour la PKR, l’équipe a pu en empêcher la production. Son étude publiée en 2011 montre que ces souris ont alors amélioré considérablement leurs fonctions cognitives, dont la mémoire et notamment la mémoire spatiale.

D’autres essais ont été faits sur ce type de souris. Ainsi on a essayé un médicament pour empêcher la PKR d’agir et ça a tout aussi bien marché. On a aussi utilisé, en présence de PKR, un traitement pour activer la fabrication cellulaire des protéines impliquées dans le fonctionnement cognitif. Cette troisième voie a donné lieu à une amélioration similaire à celles obtenues par les deux autres.

Dans les trois cas, on a constaté un meilleur fonctionnement des synapses. Ces lieux sont ceux où les neurones se « connectent » les uns aux autres. Ils se modifient en fonctions des apprentissages, des mémorisations. Or, on pense aujourd’hui que les souvenirs sont conservés par des populations de neurones, plus exactement dans leurs synapses.

On a constaté aussi une baisse des signaux inhibiteurs. Tout cela converge vers une récupération de la capacité à apprendre de nouvelles informations et de les mémoriser à long terme.

Ceci est un bon exemple d’une expérience scientifique parmi bien d’autres.


L’avenir des recherches sur l’enzyme PKR

Le fait est que l’inhibition de l’enzyme PKR peut améliorer la mémoire chez les souris, tandis que son activation peut perturber la formation de la mémoire. Ces données ne sont pas contestables.

Elles suggèrent que la PKR peut être une cible d’études prometteuse pour le développement de traitements visant à améliorer la mémoire chez les personnes atteintes de troubles cognitifs. Il faut toutefois raison garder.

Certes, des journaux et des revues ont déjà publié des articles laissant entendre qu’on a trouvé un médicament miracle. Dès les premières publications scientifiques, on a même vu dans des revues et sur l’Internet des titres plutôt ronflants :

• On a découvert l’enzyme tueuse de la mémoire !
• Une avancée thérapeutique pour traiter la maladie d’Alzheimer !
• Des chercheurs ont trouvé comment réparer votre mémoire
Etc.

On en est loin. En effet, de nombreuses études ont concerné des cibles tout aussi prometteuses que la PKR qui n’ont pas tenu leurs promesses. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’enzyme PKR joue un rôle contre les virus. En empêcher la production n’est donc pas sans danger.

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Par ailleurs, il semble que l’expression de la KPR puisse être impactée par la nutrition, l’exercice physique, les inflammations ou des substances toxiques. La pollution atmosphérique, des composés organiques volatiles ont également sur les rangs. On n’en a pas encore fait le tour.

Autrement dit, même après 15 ans, cette recherche sur la PKR (il y en a bien d’autres) n’a pas encore abouti à quelque chose d’utilisable.

Comment la science fonctionne-t-elle ?

La science fonctionne toujours ainsi. On observe, on analyse, et puis on fait des hypothèses. Qui aboutissent ou pas.

Par exemple : « puisque la présence de PKR s’accompagne d’une réduction des protéines nécessaires aux opérations cognitives, on devrait pouvoir restaurer ces dernières en supprimant la PKR ».

Une fois cette hypothèse posée, on la teste. Pour cela on imagine une expérience. On trouve un moyen de supprimer la PKR et on mesure la différence de performance des souris avant et après sa suppression. En matière d’orientation dans un labyrinthe, par exemple, ou en matière de mémorisation de lieux de nourrissage.

On fait des variantes de la première hypothèse. Par exemple : « en conservant la PKR mais en inhibant son action, on devrait pouvoir conserver la production des protéines nécessaires au opérations cognitives ». Ou encore : « si on injecte une molécule capable d’activer la production des protéines nécessaires aux opérations cognitives, on devrait pouvoir restaurer ces dernières malgré la PKR.

On imagine alors les expériences permettant de vérifier ces hypothèses. Dans le cas traité ici, les trois hypothèses ont été validées. Mais c’est loin d’être le cas le plus fréquent.

De plus il y a loin de la souris à l’Homme. Certes, elles sont des modèles, avec les rats, sur lesquels on teste les futurs médicaments par exemple. Mais lorsqu’on a trouvé une molécule qui fonctionne chez ces rongeurs, le chemin est long avant de la tester chez les humains.

Si un développement thérapeutique se fait jour pour améliorer la mémoire et les apprentissages dans le cas de la trisomie 21 ou lutter contre des maladies neurodégénératives, ce ne sera peut-être pas avant 10 ans… Et il se peut aussi que cette voie de recherche soit abandonnée.

Conclusion

Les scientifiques, les chercheurs ont un état d’esprit particulier. Ils doivent sélectionner les hypothèses de travail les plus « prometteuses » en fonction du savoir du moment. Pour autant, ils ne sont jamais sûrs de rien. Les espoirs peuvent être rapidement déçus. Ou pire, ils peuvent l’être après plus de 10 ans de persévérance.

Il arrive qu’ils aient la satisfaction d’avoir trouvé autre chose que ce qui était prévu. Parfois c’est la solution à un problème sur lequel buttaient des collègues dans une autre recherche. Mais d’autres fois, il faut abandonner purement et simplement des années de recherches qui n’ont pas pu aboutir.

Heureusement, il y a aussi des réussites. C’est ce qui permet aux chercheurs de persévérer. Sans doute aussi ont-ils un goût pour la recherche fondamentale, quand bien même elle ne déboucherait pas sur une utilité manifeste.
Avec cet état d’esprit, réussir une avancée vers un traitement peut donner une grande satisfaction.

Et une grande avancée peut prendre une allure de miracle. Pensez par exemple à la révolution des ARNm dans plusieurs domaines de la médecine depuis la fin des années 2010.

Ainsi va la science.