Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

MÉMOIRE PRATIQUE

La méthode du chaînage pour retenir une liste disparate pendant 25 ans

Par rapport à la méthode du parcours familier que vous avez apprise il y a deux semaines, il y a de sérieuses différences. En effet, la méthode du parcours familier est généraliste. Elle peut s’appliquer à toutes sortes de listes. Le chaînage, lui, est beaucoup plus spécifique

En contrepartie, cette méthode mnémotechnique est donc assez malaisée pour retenir des listes thématiques. Donc ne l’utilisez pas, a priori, pour une liste de course ou si les éléments de la liste ont trop de parenté entre eux. Pas très clair? Patience, ça vous paraîtra clair dans quelques instants.

La méthode du chaînage ou de l’empilage ?

Certains spécialistes de la mémoire ont parfois conseillé la méthode de l’empilage. Elle consiste à superposer dans une image mentale les éléments à retenir. Si ce sont des tâches à accomplir, vous les représentez évidemment par une image parlante. C’est par là que j’ai commencé mes tests.

Par exemple, supposons la liste suivante:

  • passer prendre la fille de ma voisine pour l’emmener à l’école (sa mère est malade)
  • passer ensuite à la librairie (un livre commandé m’y attend)
  • acheter du pain avant de rentrer
  • étendre le linge
  • préparer le dossier pour la colonie de vacances
  • téléphoner à Sidonie qui me doit des sous dont j’ai bien besoin.

La première chose que vous avez à faire est de remplacer les tâches par des images qui les représenteront. Par exemple:

  • porte de la voisine ouverte, sa fille est assise devant sur le trottoir
  • un livre
  • un pain
  • du linge
  • un épais dossier
  • un téléphone à l’ancienne (avec le portrait de Sidonie à la place du cadran)

Pour mémoire: l’empilage

La méthode de l’empilage consiste à faire une… pile de ces images. Ça pourrait vous donner quelque chose comme ça:

la petite fille est assise devant chez elle. Sur sa tête un livre ouvert en équilibre. Ce dernier forme une sorte de V très ouvert dans lequel sont rangé des pains comme dans une corbeille. Une pièce de lingerie est suspendue à chaque extrémité des pains, qui sont par ailleurs surmonté par un épais dossier sur lequel trône un téléphone de grande taille.

Plutôt alambiqué non? A priori la bizarrerie est plutôt favorable à la mémorisation, me direz vous.Certes. Sauf qu’il est difficile de monter la pile… Déjà, le linge ne s’y prête pas: le linge pend. Si vous l’aviez coincé entre les pains et le dossiers, vous auriez pu l’oublier.

En fait, l’expérience m’a vite démontré que ce système ne tient pas la route si on augmente encore le nombre des éléments de la liste. Je l’ai abandonné au bout de quelques jours de tests.

Beaucoup mieux: le chaînage

Il m’est apparu que faire un enchaînement à l’horizontale était plus adapté. Qui plus est, il ne vous interdit pas quelques empilages limités quand la liste s’y prête. Autrement dit, c’est la nature de la liste qui commande: vous pouvez enchaîner, empiler, voir « dépiler » à la demande en fonction des affinités des « objets » de la liste.

Si je reprends la même liste, cela pourrait vous donner:

La petite fille assise par terre lit un livre sur ses genoux. Elle brandit à la verticale un pain auquel est accroché un fil dont l’autre extrémité disparaît dans le couloir de la maison. Du linge y est est épinglé. Il goutte sur un gros dossier de forme humanoïde disposé sur la pas de la porte. Le dossier est en train de téléphoner…

La différence? La pile est plus statique. Qui plus est, la montée à la verticale limite les possibilité d’association des éléments entre eux. La plupart du temps vous ferez de la simple superposition. Votre créativité est bridée. Avec le chaînage, vous pouvez mettre du mouvement et l’image peut se déployer dans plusieurs directions. Bref, votre créativité y est plus à son aise.

Or précisément c’est la créativité qui va fabriquer des associations originales, voire loufoques et, justement, d’autant plus mémorables. .

Exemple de chaînage pour bien mémoriser

Le principe

Quoi qu’il en soit, la méthode est simple d’emploi. Le chaînage se « contente » de superposer ou d’accrocher chaque chose à la précédente. Vous obtenez donc une chaîne. Votre créativité se doit ensuite de trouver aussi souvent que possible un enchaînement originale entre chaque image.

Comme vous voyez, c’est même ultra simple. A priori, on pourrait même douter de l’efficacité du procédé. En effet, dans cet exemple, il est évident que les tâches sont à faire dans l’ordre. Vous ne pouvez donc pas modifier l’ordre de l’enchaînement. Du coup  vous avez  des liens de simple contiguïté, dont vous savez que ce sont les moins efficaces.

Seulement voilà, vous allez faire un lien original entre tous les objets. Ceci aura pour effet de sortir de la simple contiguïté.

La mise en oeuvre

Prenons un autre exemple. Voyez la liste suivante : éléphant, table, dentifrice, café, casserole, tapis, automobile, fleurs, tableau, clé à molette, noix de coco, seau. Cette liste a été faite par un groupe participant à un de mes séminaires.

A priori c’est une liste totalement disparate. Il n’y a pratiquement aucun lien qui puisse réunir ces éléments, que ce soit par ressemblance, par thèmes ou autre. De plus, nous supposons que l’ordre doit être respecté. Pas facile?

Eh bien voici, à titre d’exemple, le chaînage construit par mes stagiaires en moins de 5 minutes. Je vous donne ci-dessous le croquis que j’en avais fait à la volée. Il a d’ailleurs été publié tel quel dans un de mes livres. Pour voir l’extrait en question sur Google il suffit de cliquer ici. 

Soit un éléphant. Sur son dos, une table à l’envers. En équilibre sur deux pieds de table, un tube de dentifrice géant. De ce tube sortent sous pression des grains de café. Ces grains tombent dans une énorme casserole posée sur un tapis.

Une automobile miniature tire le tapis. Elle arbore un bouquet de fleurs en guise d’antenne radio. Sur, ce bouquet, un tableau se tient en équilibre instable sur un angle. Ce tableau représente une noix de coco et une énorme clé à molette qui serre et brise la noix de coco. Le lait de coco s’écoule dans un seau…

Pour mémoriser tout est permis

On pourrait dire qu’un chaînage est une succession de petites associations visuelles binaires. Par exemple, le tube de dentifrice géant en équilibre sur deux pieds de table est une association. Il en est de même des grains de café qui sortent violemment du tube. Ou de la voiture miniature qui tire le tapis. On sait depuis Aristote que la mémoire adore les associations…

Vous aurez remarqué les procédés utilisés ici: augmentation ou diminution des tailles relatives, équilibre ou déséquilibre, mouvement, caractère original ou insolite, transformations, etc. .L’important c’est que vous fassiez à chaque fois une liaison qui sorte de l’ordinaire. Quintilien et Cicéron vous expliquent qu’il n’y a rien de tel prou bien mémoriser…

Vous noterez aussi que la notion de chaîne est prise au sens large. Dans notre exemple, les objets sont d’abord superposés. C’est alors un empilage. Mais superposer des grains de café au tube de dentifrice… Ça n’aurait guère marché. Donc les grains tombent. A partir de la casserole, les liens deviennent horizontaux, c’est plutôt une chaîne.

A partir de la voiture, nouvelle pile verticale, avant que le lait de coco ne retombe dans le seau. Selon le cas et votre inspiration du moment, vous pourrez monter ou descendre.

Cela n’a pas d’importance. Vous pourriez même faire un « empilage à l’envers », en suspendant chaque objet sous le précédent, pour peu qu’ils s’y prêtent.

Pile ou chaîne, il n’y a pas de règle contraignante. Prenez plutôt cela comme un jeu et faites marcher votre imagination! Même si vous croyez n’avoir pas d’imagination, vous verrez que c’est facile. Surtout si ça vous amuse.

25 ans après, je m’en rappelle encore

Dans le livre dont je vous ai donné un extrait un peu plus haut, j’écrivais:

« 5 mois après l’avoir fait au tableau, les stagiaires se rappelaient toujours du chaînage ». A cette époque j’étais en train de rédiger le livre et j’animais un « séminaire de rappel ». Moi aussi, ce jour-là, j’avais toujours cette liste en tête.

Mais il y a mieux.

C’était en 1992. L’année dernière (2018), j’en ai entrepris la révision, qui est toujours en cours. Avant de rechercher le volume je me suis rappelé de cette liste avec un éléphant. Pourquoi? A mon avis parce que j’avais sur ma table de travail, le livre d’Alain Lieury « Une mémoire d’éléphant ?« . Association d’idées,sans doute.

Je me suis mis  tout de suite au défi de me rappeler cette liste que je n’avais pas vue depuis un peu plus de 25 ans. Vous savez quoi? Vérification faite, j’ai fait un zéro faute! 25 ans plus tard!

Pourtant je n’ai pas une mémoire exceptionnelle.

Pour être honnête j’ai quand même eu une hésitation. Était-ce du riz ou du café qui s’éjectait du tube de dentifrice ? J’avais une chance sur deux ! Il m’a semblé que c’étaient plutôt des grains de café. Bingo !

J’ai compris plus tard que la confusion venait d’une autre liste dont j’avais une réminiscence. Dans cette liste il y avait du riz. J’aurais donc pu me tromper et faire une erreur.. Mais ça n’aurait quand même pas été si mal après un quart de siècle…

Comment expliquer pareille mémorisation? Ce n’était même pas une liste utile. Je n’étais d’ailleurs jamais revenu dessus et, à vrai dire, je l’avais oubliée depuis longtemps. Enfin, je croyais. En fait, éléphant a été sans doute un puissant indice de rappel de la table… qui a été un puissant indice de rappel pour la table… qui a été un puissant  indice de rappel pour le dentifrice… qui etc.

Si vous ne savez plus ce qu’est un indice de rappel, voyez les premiers articles du blog. Ou, si vous êtes membre du club; le mémento « Comment retenir les noms » qui met cette notion en exergue. Vous pouvez vous inscrire en bas de l’article ou en haut de la page à droite c’est pareil.

En tout cas, la puissance de la méthode fait qu’avec une mémoire tout à fait ordinaire, vous pouvez en faire autant.

Pourquoi une pareille performance de mémoire ? 

Parce que la puissance de l’indice de rappel est proportionnelle à l’incongruité du lien avec l’élément à rappeler. Or, du fait que les éléments n’avaient rien à voir entre eux, l’incongruité devenait obligatoire !

S’ils avaient eu une parenté, cette dernière aurait certes pu vous faciliter un peu le rappel. Si vous avez une liste de fournitures scolaires, la parenté entre elles peut vous aider à vous les rappeler. Mais si leur nombre en est élevé, alors le risque d’oublis devient important. Essayez un peu de retenir une liste d’une dizaine d’items apparentés sans méthode et vous m’en direz des nouvelles!

Vous aurez beau lier mentalement cahier, stylo, livres etc., vous allez probablement devoir retourner chez le commerçant. Même faire un chaînage ne vous garantira pas un succès absolu. Vous aurez en effet plus de mal à faire un lien original entre un cahier et un stylo qu’entre un cahier et… un kilo de fraises par exemple.

La meilleure méthode, pour des items apparentés, en l’absence de liste écrite, c’est encore celle de la chambre (une variante des loci, voir dans cet article) ou celle du parcours familier (voir l’article précédent).

Réservez le chaînage à des liste diversifiées et vous obtiendrez alors des mémorisations hors normes. Une liste de choses à faire, lorsqu’elles sont diverses, s’y prête assez bien. Même si, a priori ce genre de liste n’a pas vocation a être mémorisé longtemps. Mais c’est un bon entrainement.

C’est à vous, maintenant, de choisir à quoi vous allez appliquer la méthode. Une check-list permanente peut-être? A vous de voir. La seule consigne est de vous « lâcher » pour faire des liaisons incongrues. Il ne faut pas avoir peur de ça.

Mémoriser est un jeu

Amusez-vous…

C’est là une étrange affirmation pensez-vous… Normalement non. On n’y pense même pas. Mais si vous voulez améliorer vos performance mnésiques, ou simplement tester vos limites, faites-en un jeu. C’est comme ça que ça marche le mieux.

Si vous avez du mal avec ça, faites-en carrément un jeu de société avec des amis ou avec votre famille. Mettez-vous à plusieurs pour vous entraîner à faire des chaînages. Les enfants adorent cet exercice et je vous prédis bien des éclats de rire. Prenez modèle sur eux. Surtout, en vous laissant entraîner, vous allez vite augmenter vos capacités créatives.

… c’est sérieux !

En même temps, c’est un jeu plus sérieux qu’il n’y parait. Quand vous retenez la scène d’un enchaînement, vous êtes confronté à des images; Si vous me suivez depuis un moment, vous savez que c’est ce qui se mémorise le mieux. Demandez à Aristote et à Cicéron: ils vous le confirmeront.

Mais, bien sûr, retenir cette scène visuelle va aussi mobiliser votre vocabulaire. Car vous ne pouvez pas regarder l’image d’un éléphant sans activer le mot éléphant dans votre cerveau. Avec une image vous avez un double codage. Et comme vous avez une succession d’images liées les unes aux autres, vous avez une succession de doubles codages. Votre mémoire imagée et votre mémoire sémantiques vont travailler de concert.

C’est pourquoi l’efficacité d’un chaînage long est tout aussi bonne que celle d’une association simple. Un chaînage de 15 éléments n’est pas plus difficile à mémoriser qu’un chaînage de 5 éléments…  C’est étonnant mais c’est comme ça. Le lien entre deux items est puissant et chaque maillon de la chaîne appelle automatiquement le suivant. Essayez, vous verrez.

Enfin, sachez qu’après quelques heures d’entraînement tout au plus, la plupart des gens que j’ai testé sont capables de retenir une liste de vingt éléments sans difficulté. J’ai souvent eu dans mes stages des personnes âgées : cela marche tout aussi bien avec elles ! Alors, et vous?