Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

VULGARISATION SCIENTIFIQUE

QUAND LES BOURDONS APPRENNENT A JOUER AU FOOTBALL
Ou comment la mémoire permet l’adaptation

La mémoire des animaux et des plantes est un domaine fascinant. Jusqu’à ces dernières années, on n’imaginait même pas que les plantes aient de la mémoire.

Pourtant, si. Mais on verra ça un autre jour.

Enfin, pour ce qui est des animaux, en revanche, on s’en doutait bien un peu.

Ne serait-ce qu’en observant les animaux domestiques. L’homme qui vit avec un chien sait que cet animal apprend et qu’il a de la mémoire. Pour nous c’est évident. Pour un scientifique beaucoup moins: lui, il veut prouver la chose, il veut vérifier.

Alors, pour cela, il monte des expériences pointues. Souvent rébarbatives pour le commun des mortels. Mais pas toujours. Il arrive même qu’on tombe sur des pépites. La preuve, c’est ainsi qu’on apprend, par exemple, que les bourdons peuvent apprendre à jouer au football…

Si, si.

Enfin, presque.

Ça se passe à l’université

L’histoire se passe à Londres à la QUEEN MARY UNIVERSITY. On sait que les universités anglaises tiennent le sport en haute estime. C’est à qui aurait la meilleure équipe… de rugby, cricket ou d’aviron etc.

Mais, de foot ? Bof !

Non, on ne peut pas dire que les universités anglaises soient fan de football. Seulement,  la QUEEN MARY UNIVERSITY OF LONDON, il faut croire, est unique en son genre. Surtout quand les joueurs de son équipe sont des… bourdons.

En fait, le but de leur laboratoire de recherche n’a rien à voir avec la mémoire (on y reviendra ensuite). Les chercheurs voulaient plutôt savoir si leurs petites bêtes seraient capables d’apprendre à résoudre un problème qui ne se rencontre jamais dans la nature en utilisant un objet pour obtenir un résultat qui les intéresse. Utiliser un outil, quoi.

Je m’explique : le résultat qui les intéresse c’est un liquide sucré. L’objet c’est un ballon. Le comportement à vérifier : marquer un but pour obtenir le liquide convoité.

L’expérience vaut son pesant de nectar. Imaginez un gros (pour un bourdon) ballon jaune sur une plateforme munie d’un « but » sous forme d’une cuvette au milieu. Règle du jeu : si le bourdon met le ballon dans la cuvette, il gagne une ration sucrée. Comment diable un bourdon va-il pouvoir comprendre ça ?

Autrement dit, il va falloir lui montrer l’exemple.

Comment leur apprendre la règle du jeu?

En conséquence, un expérimentateur se dévoue. Il pousse le ballon jaune avec une baguette dont l’extrémité ressemble vaguement à un équipier. Alors qu’il place la baballe dans la cuvette, il y laisse tomber une ration sucrée avec une pipette. Pendant ce temps là, le bourdon observe…

Après ça, on attend. A-t-il mémorisé ? Va-t-il apprendre ?

Au début, il ne se passe rien. Puis, 84 secondes plus tard en moyenne (selon Sciences et Avenir qui semble avoir chronométré) l’élève footballeur le fait tout seul. Pas mal. Ensuite, il n’oublie pas et se montre capable de recommencer. Par conséquent, il a mémorisé, il a appris.

Mais là où ça devient plus intéressante, c’est quand on met sur la plateforme un bourdon novice et un bourdon expérimenté. Après avoir vu son copain marquer, le novice ne mets que 47 secondes en moyenne  pour en faire autant.

Dans ce cas, l’apprentissage est alors deux fois plus rapide !

En effet, il ne faut pas oublier que ce sont des insectes sociaux, habitués aux apprentissages par les collègues. D’ailleurs, on a pu constater la même chose avec des élèves de primaire. Ils peuvent apprendre plus vite guidés par leurs camarades que par un instituteur. Comment ? Ah oui, pardon, je m’égare…

On complique un peu l’expérience?

Revenons à nos… bourdons !

Naturellement, on peut compter sur nos scientifiques pour corser les expériences. Et si on mettait plusieurs ballons hein ? Résultat: les bourdons, pas cons, marquent le but avec celui qui est le plus près de la cuvette tiens ! Pourquoi se fatiguer plus ?

Maintenant, si on mettait sur la plateforme un cube jaune et un ballon bleu ?

Un peu béta l’expérimentateur, pour qui nous prend-il ? Non, mais tu nous vois pousser un cube ? Ça roule même pas ! Et tu voudrais qu’on le traîne jusque dans la cuvette ton cube ? Même pas en rêve… Alors que le ballon, même bleu au lieu d’être jaune, c’est toujours un ballon.

Voici une des vidéos placées par la revue Science sur Youtube. On ne les y voit pas snober le cube c’est dommage. Allez voir quand même (ce n’est pas long, juste une minute) et continuez votre lecture ensuite. C’est juste là-dessous :

Maintenant, qu’est-ce que ça prouve tout ça ?

Selon l’étude, cela prouve que les bourdons ont des capacités cognitives : qu’ils peuvent apprendre ; et surtout que leurs capacités sont flexibles ; qu’ils peuvent s’adapter même à des situations qui n’on rien à voir avec ce qu’ils rencontrent habituellement dans la nature.

Dé plus, notons  qu’apprendre par l’observation et reproduire l’expérience observée n’est pas si facile. C’est même une aptitude qui se place très haut dans la hiérarchie des capacités cognitives. Auparavant, on n’avait d’ailleurs jamais supposé un instant que des insectes en soient capables.

Maintenant, on sait que si.

L’apprentissage par les pairs

Déjà, l’année dernière, la même équipe (de chercheurs) avait appris à une équipe (de bourdons) à tirer sur une ficelle pour faire sortir de sa cache une coupelle remplie de liquide sucré. Ensuite, ils ont remis les joueurs dans leur colonie d’origine. Allez voir la vidéo; elle dure moins d’une minute:

Et alors… quelque temps plus tard, toute la colonie savait jouer au jeu de la ficelle !

Si c’est pas la preuve de l’efficacité de l’apprentissage par ses pairs ça ! On a d’ailleurs remarqué, chez les élèves de primaire… Oups ! Pardon je m’égare encore…

Revenons à nos bourdons.

L’Université QUEEN MARY a tiré de ces expériences une petite vidéo quasi publicitaire qu’elle invite à partager. Vous y verrez l’expérience de la ficelle. La voici :

Que conclure de tout ça ?

Il faut voir au-delà du côté amusant ou surprenant de la chose. Cela nous amène à une réflexion sur l’intelligence, l’apprentissage, l’adaptation et la mémoire.

La mémoire vous permet d’apprendre et de vous adapter

Supposez que vous voyiez quelqu’un mettre un ticket de métro au lieu d’une carte bancaire dans un distributeur  de billets. Étrange…  Surtout quand il en retire un billet de 500 euros ! Ça n’a pas de sens… Avec un ticket de métro !

C’est idiot non ? Mais, voilà qu’un second quidam se présente lui aussi avec un ticket de métro… Maintenant, le voilà qui retire à son tour 500 euros… C’est peut-être idiot mais… alors, là… (comment ça non ?) vous allez essayer hein ? Et… ça par exemple, ça marche !

Pour vous, un ticket de métro dans le distributeur, c’est totalement incongru. Mais pas plus que le ballon dans une cuvette pour un bourdon…

Peut-être que c’est bizarre, d’accord, mais vous constatez que ça marche. Vous avez eu l’intelligence de supposer une relation de cause à effet. Donc, ça vous a donné envie d’essayer. Et, un peu à reculons peut-être, quand personne ne vous regarde… vous tentez de reproduire la chose pour vérifier. Et, bingo, ça marche !

Conclusion: vous avez appris vraiment quelque chose ! De plus, il est inutile de préciser que vous allez vous en souvenir! Et puis, ça va aussi vous donner envie de recommencer, pas vrai ? Comme les bourdons, vous allez vous adapter très vite, je parie…

De même, si vous  trouvez un ticket de métro juste à coté de la fente de l’appareil et un autre plus loin..  On parie que vous allez  prendre le plus proche?..Et si vous avez le choix entre un ticket de métro et un paquet de chewing-gum plus épais ? On parie que vous n’allez même pas essayer avec le paquet ?

Eh bien voilà, c’est ce que font les bourdons. Le plus remarquable, c’est qu’ils font la même chose que vous ! Certainement, on apprend vite quand c’est intéressant…

Humains et bourdons c’est du pareil au même

Tout d’abord, les bourdons ont compris et mémorisé qu’ils pouvaient obtenir ce qu’ils voulaient en faisant quelque chose qui n’a pas de sens pour eux, mais qui marche. Cela suppose de la mémoire, une intelligence de la situation, une hypothèse (implicite ou explicite) et une expérience de vérification. En d’autres termes, un apprentissage, quoi.

Comme vous avec le DAB (Distributeur Automatique de Billets).

Ensuite, quand on les remet sur la plateforme le lendemain ils s’en souviennent… Comme vous quand vous passez de nouveau devant un DAB le lendemain. N’est-ce pas que vous vous rappelez ?

Ainsi, les bourdons ont bonne mémoire.

A vrai dire, ils l’ont déjà démontré en retenant le geste du démonstrateur. Certes, le démonstrateur humain est moins performant que le bourdon aguerri… Mais, dans les deux cas, le novice a bien mémorisé ce qu’il fallait faire pour gagner sa boisson favorite.

Longtemps, on a cru dans les milieux scientifiques que les insectes n’avaient que de l’instinct, immuable. La confrérie des apiculteurs, dont j’ai fait partie pendant des années, sait pourtant depuis longtemps que nos abeilles, cousines du bourdon, ont des facultés adaptatives et cognitives.

Pas que le bourdons d’ailleurs…

Par exemple, elles savent reconnaître des formes géométriques inconnues dans la nature. On sait ça depuis plus d’un siècle. Elles savent même reconnaître des invariants dans des motifs différents. Encore plus, elles savent aussi compter jusqu’à 5 (eh oui…), utiliser les concepts de différence ou de similitude… Encore plus fort, elles connaissent le concept de plus grand que ou de plus petit que, évaluer un volume…

Ah bon, vous ne saviez pas ?

Les apiculteurs, eux, savent cela depuis très longtemps. Toutefois, c’est seulement au début des années 2000 que le CNRS a fait des expériences pour le vérifier. Les expériences étant concluantes, les capacités de nos hyménoptères préférés sont maintenant reconnues. Cette fois, c’est officiel.

Bon, je brocarde un peu les scientifiques mais je ne leur en veux pas. S’ils devaient se fier à tout ce qu’on raconte… Sans compter qu’en général, ils ne sont pas apiculteurs.

Sauf si c’est une chercheuse et si elle s’appelle Federica BERTOCCINI. Elle mettait dans des sacs en plastiques la cire des ruches lorsque celles-ci étaient infestée par la fausse-teigne. J’ai fait ça aussi.

C’est alors qu’elle s’est aperçu du fait que ces sacs en plastique sont devenus pleins de trous. Moi aussi d’ailleurs, mais je n’en avais rien conclu. Federica si. Grosse découverte : des bactéries qui mangent et digèrent le plastique…

Comment ? Ah oui, pardon, je m’égare encore. Revenons à nos bourdons et concluons.

La mémoire permet l’adaptation

En conclusion, bourdons ou abeilles peu importe. Ce sont des insectes sociaux. Et ceux-là ont l’habitude des apprentissages. On se rend vite compte qu’ils ne marchent pas qu’à l’instinct.

A vrai dire, l’instinct, c’est leur mémoire génétique si l’on peut dire. Mais les apprentissages les obligent à utiliser leur vraie mémoire. Autrement dit, les choses nouvelles, ils doivent les mémoriser.effectivement, ils le font. C’est à dire qu’ils adaptent visiblement leur comportement en fonction de ce qu’ils ont appris, mémorisé. C’est là où je voulais en venir.

La leçon du jour c’est que la mémoire permet l’adaptation.

D’ailleurs, supposons que le bourdon voie la démonstration du ballon pour obtenir son drink mais ne le mémorise pas. Il en résultera qu’Il ne reproduira donc pas l’expérience. Il se fatiguera à chercher plus loin sa nourriture. Il ne s’adaptera pas à la vie moderne. Il dépensera plus d’énergie. Donc, il vivra moins longtemps que celui qui se contentera de pousser un ballon placé sur sa route.

Même chose pour vous avec le distributeur automatique de billets d’ailleurs… Si vous ne mémorisez pas le truc, vous n’apprenez rien. Certainement, vous allez aussi vous fatiguer à aller travailler pour gagner de l’argent. Alors que vous pourriez vous contentez de mettre chaque matin un ticket de métro dans la machine! Et alors, vous seriez moins fatigué. Vous vivriez plus longtemps.

C’est pourquoi (j’ai le regret de vous le dire), si vous ne mémorisez pas, vous n’apprenez pas et vous êtes totalement inadapté à la nouveauté. Si tout le monde était comme ça, il n’y aurait plus de civilisation.

Mise à jour du 2 février 2019.

Non seulement les abeilles savent compter jusqu’à 5, mais une récente expérience montre qu’elles comprennent que rien c’est moins que 1. Autrement dit, elles ont le concept de zéro. Voyez « l’abstract » publié par le CNRS… Aucun rapport direct avec la mémoire, d’accord, mais ça valait le coup de le préciser…