Le rugbyman Sébastien Chabal ne se rappelle aucun des matches qu’il a joué. Et pas grand chose de sa vie en général. Cette amnésie pourrait être due à des commotions répétées lors de placages. Il n’est pas le seul dans ce cas, et le rugby n’est pas non plus le seul sport concerné. Si vos enfants font du sport (ou vous-même) vous devriez jetez un œil ci-dessous…
Votre sport préféré pourrait-il s’attaquer à votre cerveau, vous rendre amnésique ou susciter des trous de mémoire ? Evidemment si vous vous adonnez à la natation, le risque parait faible. Mais avec le rugby, la boxe, le football américain ou le hockey sur glace, c’est une autre affaire. Ce sont des disciplines de contact où l’on prend des coups et leur impact sur la santé cérébrale fait débat.
Ces sports pourraient-ils être des bombes à retardement anti-neurones ? Certains commencent à le dire assez fort, tandis que d’autre tentent de minimiser la choses. Mais tout le monde est d’accord sur la réalité des commotions cérébrales. C’est déjà un point positif.
Pour le reste le débat entre non spécialistes se résume à un débat d’opinions, orienté en fonctions des intérêts des uns et des autres. Le débat chez les spécialistes (médecins du sport, neurologues, notamment) est beaucoup plus soft et ne porte que sur les conditions de recueil et de traitement des informations. La réalité de la relation entre commotions répétées et atteintes cérébrales, au contraire, est parfaitement reconnue.
En effet, pour les spécialistes, il est clair que oui, ces commotions ont un effet cumulatif néfaste sur le cerveau. Les statistiques d’Alzheimer (parfois) précoce ou de dégénérescence traumatique sont très au dessus de la moyenne chez les joueurs des quatre sports que j’ai cités. Les baisses d’efficacité cognitive y sont également surreprésentées.
Alors, pouvez-vous concilier passion sportive et préservation de vos capacités cognitives ? Eh bien, ça dépend… des sports.
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Sports et mémoire : les deux faces de la médaille
Vous pensiez que le sport n’avait que des bienfaits ? Moi aussi. Je l’ai souvent dit dan ce blog, même si je rappelle que 2 fois une demi-heure de marche tous les jours est encore la meilleure formule. Mais c’était sans penser aux sports dans lesquels on prend des gnons. A y regarder de près, certaines disciplines peuvent sérieusement brutaliser vos neurones. Voici même le top 4 des sports où chaque coup de tête ou sur la tête pourrait coûter cher pour votre cerveau et votre mémoire :
Rugby
Une étude rapportée par L’Equipe en 2023 conclue que chaque année de pratique augmente de 14% le risque d’encéphalopathie traumatique chez les sportifs professionnels. Une étude australienne antérieure sur les retraités du rugby avait déjà trouvé que plus de la moitié d’entre eux avaient des lésions cérébrales. Parmi eux, certains avaient des symptômes de démence, de Parkinson et de troubles cognitifs.
Boxe
Plusieurs études rapportées par l’Académie Nationale de médecine ont eu lieu en collaboration avec la Fédération Française de boxe. Résultat: 11 % des amateurs et 38 % des professionnels ont des anomalies IRM imputables à la boxe (dont des atrophies cérébrales). Avant les études, il était déjà connu que les coups répétés pouvait amener à la « démence pugilistique », un joli terme pour évoquer une dégénérescence cérébrale traumatique.
Football américain
Dans ce sport (plus que confidentiel en France) il y a aux Etats-Unis une commotion cérébrale dans un match sur 2 environ. Les chocs mortels n’y sont pas rare, même chez les collégiens qui pratiquent ce sport. Au Canada la National Football League recense en moyenne 250 commotions cérébrales par saison.
Nombre d’études universitaires ont montré des corrélations avec le développement d’encéphalopathies traumatiques chroniques dont les symptômes majeurs sont des pertes de mémoire, de la dépression, un comportement agressif ou de la démence. On a même trouvé que les ex-joueurs développent la maladie d’Alzheimer 19 fois plus souvent que vous et moi (je présume que vous ne jouez pas à ce jeu dangereux…).
Hockey sur glace
Une spécialité de ce sport est la « mise en échec » (en canadien dans le texte) qui consiste ni plus ni moins qu’à bousculer fortement un adversaire pour le déséquilibrer et lui faire perdre la maîtrise du palet (en canadien la « rondelle »). D’où des chutes et des traumatismes assez importants et, dans certains pays, une interdiction de cette pratique.
Je n’ai pas trouvé de statistique fiable sur l’effet des commotions dans ce sport. Statistiques Canada a bien publié une étude transversale mais la seule chose qui en ressort c’est la cause numéro 1 d’es commotions chez les jeunes est la pratique d’un des sports cités plus haut, à l’exception de la boxe qui n’apparait pas dans l’étude. Toutefois ces risques semblent alarmer la population.
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Quoi qu’il en soit, même les microtraumatismes crâniens agissent comme des termites dans les populations de neurones. Ils déclenchent une cascade inflammatoire qui peut atteindre l’hippocampe. Certes, des études montrent que l’exercice « aérobique » stimule la neurogenèse dans cette zone autrement dit renforce ce haut-lieu de la mémoire. Mais les coups pris à la boxe, feraient plutôt l’effet contraire. La plasticité synaptique en prend alors un coup, les performances cognitives aussi.
Le dilemme, c’est que même ces 4 sports peuvent aussi vous faire du bien ! Le rugby, par exemple, parait excellent pour votre endurance cardiovasculaire, mais en cas de choc choc à la tête il malmène vos neurones. Quelle solution ? Pour concilier performance sportive et santé cérébrale ? Mieux vaudrait prévenir que guérir. Mais est-ce possible ?
Commotions cérébrales : la bombe à retardement
Vous croyez qu’une commotion, ça donne juste un petit vertige ? Détrompez-vous, cela peut aller de l’étourdissement au coma. Et comme, les réactions individuelles sont diverses, on ne peut pas dire qu’un étourdissement ou un vertige post-traumatique aura moins d’effet qu’un coma. C’est probablement vrai statistiquement, mais indécidable pour l’individu.
Les premiers symptômes peuvent être bénins : petit vertige temporaire, maux de tête, sensation de déséquilibre, et se résorber rapidement. Toutefois, le fait de subir une commotion cérébrale sans dommage mesurable n’implique pas l’absence de suite. Il peut y avoir un décalage entre l’accident et ses effets. Sans parler de l’effet cumulatif au fil du temps.
Le vrai danger se cache dans l’ombre : 10 ans après, une amnésie rétrograde pourrait très bien apparaître.
Parlons cash. Une étude sur 31 anciens rugbymen fait froid dans le dos : 68% présentent des lésions cérébrales typiques de l’encéphalopathie traumatique. Cette tendance préoccupante est bien illustrée par le fait que les internationaux ont 2,5 fois plus de risques de démence. Ryan Jones, ex-capitaine du Pays de Galles, l’avoue : « Je ne reconnais plus mes enfants ». Sébastien Chabal n’en est pas encore là, tant mieux.
Ce qui est préoccupant aussi, c’est que beaucoup de sportifs, surtout les jeunes qui « montent » cachent leurs symptômes pour rester sur le terrain. Et, ma fois, on ne peut pas dire que les instances officielles des divers sports de contact soient très virulentes sur le plan de la prévention.
Facteurs aggravants
Pour mémoire, le gène ApoE4 (on devrait parler d’allèle mais bon…) multiplie par 3 à 15 vos risques d’Alzheimer au naturel, selon que vous en portez une ou deux copies. Après un choc crânien, ça ne devrait pas faire moins !
Comment savoir si vous êtes porteur de cette autre bombe à retardement ? Simple : il faut faire un test. Scoop : ça ne se fait presque jamais, à l’exception des familles à forte prévalence d’Alzheimer. Faudrait-il dépister les candidats aux sports de contact ? Cela n’est pas à l’ordre du jour et pourtant… ce serait peut-être une bonne précaution.
Peut-être faudrait-il commencer par dépister la présence de ces allèles chez les sportifs retraités et présentant des troubles cognitifs. Ils n’auraient pas la réticence propre à ceux qui craignent pour leur carrière. Et, se sachant déjà porteurs de symptômes de déclin cognitif, ils pourraient avoir à cœur d’être utiles à la prévention.
Il y a certainement d’autres facteurs aggravants (alcool, comorbidité), mais ils ne sont pas strictement dans le sujet de cet article.
Protocoles préventifs : existent-ils ? Sont-ils suivis ?
Après une commotion, le chrono tourne : 48 h de repos total obligatoire semble une bonne pratique. Ce qui signifie ne pas retourner sur le terrain. Trois chocs en un an ? Ce devrait être 3 mois de placard assurés. Le corps médical devrait arbitrer, mais est-ce le cas ?
Les kinés tentent de se mettre dans la boucle. Muscler son cou serait indispensable, ce serait comme se fabriquer un airbag naturel. Cela répartit les forces d’impact et en diminue l’intensité globale. Gainage cervical, rotations contre résistance élastique et autres … Cela permettrait d’absorber jusqu’à 30% de chocs en plus selon certains kinés. Ca me laisse un peu sceptique. Outre que muscler le cou isolément me parait aberrant, je doute que cela amortirait les chocs cérébraux. Mais bon, je ne suis pas spécialiste.
Toutefois, il s’agit là de prévention par la préparation, on peut donc supposer qu’elle existe, du moins en milieu professionnel. En revanche au niveau amateur, je doute totalement. Si vous en savez plus long que moi sur la question, n’hésitez pas à mettre un commentaire.
Protocoles post incidents
Rugby
Cela étant il existe au rugby un « protocole commotion cérébrale » HIA (Head Injury Assessment) obligatoire sous peine de sanction des clubs qui ne l’appliqueraient pas. Il impose qu’un jeune de moins de 19 ans évoluant au niveau pro doit être « sorti » du terrain à la moindre suspicion. Pour les plus de 19 ans, il existe 10 cas de sortie obligatoire après un choc. Par exemple, en cas de propos incohérents du joueur, de chute au sol après qu’on l’ait aidé à se relever, de regard vide… Et cela va sans dire, en cas le perte de connaissance ou de convulsions !
La sortie n’est qu’un début. Ensuite il y a une observation en salle avec des tests. Certains sont psychotechniques : mémorisation de mots, restitution de chiffres dans l’ordre inverse de l’énonciation… D’autres sont psychomoteurs : par exemple, marcher pieds nus sur une ligne continue de 3 mètre de longueur en plaçant le talon contre les orteils de l’autre pied en moins de 14 secondes. Il y a aussi un interrogatoire du joueur sur son ressenti. Selon les résultats le joueur peut retourner sur le terrain ou pas. On refait une séance de contrôle 48 heures plus tard.
Boxe
Pour la boxe, c’est à l’arbitre d’arrêter le combat s’il subodore une commotion cérébrale. La commission médicale de la FFB explique qu’un boxeur doit observer un repos de cinq à dix jours après une victoire ou une défaite. En cas de K.-O., ce serait jusqu’à 20 jour, voire un an, en fonction de l’évaluation médicale. Contrairement au cas du rugby, il semble qu’il n’y ait pas vraiment de norme.
De plus, il n’y a aucun contrôle à l’entrainement et j’ai lu sou sa plume d’un médecin de la commission qu’il s’y produit probablement plus de commotions cérébrales qu’en combat… Ce qui explique probablement que les capacités cognitives de beaucoup d’anciens boxeurs soient sérieusement touchées et que les démences soient chez eux plutôt fréquentes.
Hockey sur glace
En hockey sur glace, il existe des protocoles de sortie des joueurs pendant sept jours, par exemple, puis de reprise progressive par étapes. Cependant, chaque fédération a ses propres normes. En les parcourant, j’ai eu ‘impression, au vu du langage employé (utilisation du conditionnel par exemple) que ces normes sont plus incitatives que coercitives.
Football américain
En football américain, la sortie de terrain est obligatoire en cas de coup à la tête, même en l’absence du moindre symptôme. Un examen médical autorise ou non ensuite le retour. En cas de constat d’une commotion cérébrale le joueur peut être mis en arrêt jusqu’à six semaines, et doit passer ensuite par 5 étapes d’entrainement progressif pour être autorisé à rejouer.
Avenir des sports à risque
A vrai dire je ne m’inquiète par pour leur avenir. Les fédérations sportives sont suffisamment puissantes pour se le garantir. En revanche je sui plus inquiet pour les joueurs. En effet, force est de constater que malgré les protocoles que j’ai évoqués, certains étant même révisé tous les ans, les blessures à la tête et les commotions ne régressent pas.
Les pressions (qu’elles soit internes ou externes) et les enjeux ont probablement leur part dans cet état de fait. Les joueurs ne tiennent pas à à être mis hors-jeu pendant des semaines. Les médecins du sport sont sous double contrainte (préserver le joueur, préserver les performances du club qui les emploie). Les dirigeants des clubs ont des impératifs économiques qui sont impactés par la mise hors-jeu d’un joueur. Il y a toujours le risque que ces 3 parties s’allient inconsciemment (ou pas) pour continuer as usual.
De plus l’aversion au risque semble diminuer dans la société contemporaine. Les MMA, naguère interdits dans certains pays, y deviennent légaux. La brutalisation de la société fait peut-être que les individus s’y habituent. A moins que, comme au Cirque à Rome, on ne s’en délecte ? Ces sports-là risquent bien de venir grossir la liste des pourvoyeurs de commotions cérébrales.
Peut-on envisager des mutations réglementaires ?
Rugby sans placage ? Trahison ou évolution nécessaire ? Verra-t-on les rugbymen casqués ? Autrefois, on ne jouait pas au hockey sur glace casqué. La mort de Bill Masterton en 1968 après un coup à la tête lors d’un match en Nouvelle Zélande n’a pas précipité les choses. Il aura fallu attendre 11 ans pour que le port du casque devienne obligatoire.
Et personne n’en parle pour le rugby, ni pour la boxe et encore moins pour les MMA où la grêle de coups à la tête que peut recevoir un adversaire sonné à terre tient plutôt du tabassage violent que du sport. Cela parait bien mal parti pour une amélioration de la sécurité de joueurs. Pour qu’une évolution réglementaire se produise, il faudrait probablement un grave événement et une sérieuse émotion du public. Et cela prendrait sans doute ensuite des années pour qu’il en sorte quelque chose.
En attendant, pour les sports qui utilisent le casque, on parle de casque connecté munis d’accéléromètres et de divers capteurs et qui enverrait des données à un ordinateur distant. On parle aussi de puces biométrique collées dans la nuque analysant chaque impact en temps réel. Si cela aboutit, ce sera utile pour une meilleur compréhension des risques. Cela permettra-t-il une meilleur prise de conscience et une meilleure prévention ?
L’avenir seul le dira mais un capteur n’empêchera jamais un coup de boule mal placé.
Sports alternatifs pour cerveaux exigeants
Si vous n’avez pas encore choisi votre sport… et si vous tenez à préserver vos capacités cognitives… et si vous tenez à minimiser le risque d’encéphalite cognitive… enfin si vous tenez à éviter le risque de neurodégénérescence de type Alzheimer… vous devriez peut-être chercher un sport taillé sur mesure pour cela.
Y en a-t-il ? Mais oui. Non, pas les « sports cérébraux » comme les mots croisés… Je suis sûr que vous n’y pensez pas spontanément mais mais en voici deux qui répondent aux critères ci-dessus :
L’escalade
L’escalade est un sport stratégique et physique et fait marcher votre cerveau. Choisir sa voie demande réflexion et anticipation, que chaque prise va confirmer ou pas. Si ce n’est pas le cas, cela devient un problème à résoudre. C’est tout aussi vrai pour l’escalade en salle que pour l’escalade in situ, sauf que cette dernière n’est pas chronométrée.
Ce sport est plutôt intense physiquement mais demande aussi une analyse rapide des situations. L’adrénaline fait du bien à la mémoire émotionnelle mais favorise aussi l’attention. C’est une sorte de combo positif.
Les sports de raquette: tennis, tennis de table et badminton
Voilà des sports qui demandent une analyse rapide des trajectoire, une bonne coordination visuomotrice pour que le geste du joueur soit efficace. Pour le tennis de table et le badminton, le temps de réflexion se compte en centièmes de seconde et demande des décisions éclairs. Le cerveau doit être au top de sa forme pour que la prise de décision soit bonne.
A priori ce sont de sports sans risque de commotion cérébrale. Toutefois, j’ai quand même lu quelque part qu’au tennis on compterait une commotion cérébrale (un coup de raquette de l’adversaire ?) tous les 20.000 matchs !
Pas mal d’autre sports semblent ne pas faire courir ce genre de risques, mais…
Mais cela ne veut pas dire qu’ils font marcher votre cerveau. La natation, l’aviron ou la course à pied ne font pas courir de grands risques physiques mais ne sollicitent pas particulièrement vos neurones. Si vous cherchez un sport susceptible de booster votre réserve cognitive et de vous protéger contre la dégénérescence cérébrale, il vous faut être très sélectif.
J’ai consulté une liste de 100 sports et il semble qu’il n’y en ait pas d’autres qui répondent au double critère d’être sans risque de commotion cérébrale, et de faire travailler vos neurones. Si vous en connaissez-un autre, ne vous gênez pas pour le dire !