Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

Comment effacer un souvenir douloureux ? Ou plutôt la douleur associée au souvenir ? Eh bien, étonnamment, c’est possible. 

Article mis à jour le 7 avril 2022

Figurez-vous que, depuis un bon moment, on me pose assez souvent des questions telles que :

  • Comment effacer un souvenir douloureux ?
  • Comment lutter contre les reviviscences traumatiques ?
  • Comment atténuer la souffrance des événements passés ?
  • Comment oublier une expérience malheureuse ?
  • Comment ne plus penser au passé qui me fait souffrir ?
  • Comment venir à bout de mes symptômes de stress post traumatique ?
  • Comment éliminer les crises d’anxiété liées au souvenir ?
  • Comment supprimer les flash-backs de mon accident ?
    Etc.

Je me suis dit que j’allais devoir répondre, mais le sujet est vaste.

Avant d’entrer (pas trop, mais quand même) dans le détail, comprenons de quoi il s’agit. La souffrance du passé n’est jamais causée par le passé lui-même. Elle est causée par les émotions négatives qui l’accompagnent. C’est ce qui explique que deux personnes qui ont vécu la même situation « traumatisante » n’ont pas forcément la même expérience. L’une pourra en souffrir durablement, l’autre moins, peu ou même pas du tout.

C’est donc du côté des émotions que nous allons nous diriger.

Certes, les questions listées ci-dessus ne se réfèrent pas toutes à un même degré de gravité. Il y a un monde entre le ruminement dépressif et douloureux qui pourrait suivre une rupture, par exemple, et les réminiscences subites qui replongent régulièrement un rescapé d’attentat dans la reviviscence de l’horreur initiale.

Mais qui peut le plus peut le moins, disait mon grand-père Victor. Je m’attacherai donc surtout au cas les plus graves. Ils éclaireront ceux qui le sont moins.

La mémoire et les émotions

Depuis l’Antiquité, nous savons que la mémoire humaine est favorisée pas les émotions. Cela est aussi vrai  pour les émotions positives que pour les émotions négatives.

Exemple 1 : quel temps faisait-il le 17 octobre 2016 ?
Cela ne me rappelle rien. Mais si c’est la date de votre mariage, du premier jour de votre premier emploi ou du décès d’une personne très proche, c’est différent. Vous savez ce que vous avez fait ce jour-là. Vous avez des souvenirs d’actions ou de rencontres qui ont eu lieu ce jour-là. Et vous pourriez certainement dire le temps qu’il faisait.

Exemple 2 : où étiez-vous quand vous avez appris les attentats sur les tours jumelles de New York ?
Outre que vous avez gardé le souvenir de la date (11 septembre 2001) vous savez très bien où vous étiez quand la nouvelle des attentats vous a atteint. En revanche vous souvenez-vous du 23 mars 2000 ou le 7 novembre 2002 ?

Ce qui a fixé certaines informations dans votre mémoire ce sont les émotions qui les ont accompagnées. Inversement, les souvenirs correspondants aux autres dates indiquées semblent avoir été effacés. Est-ce vraiment le cas ? En fait, non. Mais les retrouver est extrêmement difficile.

En revanche, ce qui caractérise les souvenirs émotionnels c’est leur rappel instantané. Je peux dire spontanément que j’ai appris les attentats dans mon bureau de consultation, vers 18 heures, par une patiente qui l’avait appris elle-même par la radio dans son véhicule. Je n’ai aucun effort à faire pour retrouver cette information.

Autrement dit, les émotions ont joué un rôle de fixateur et ont rendu le souvenir indélébile et immédiatement disponible plus de 20 ans après.

Vous voudriez effacer vos mauvais souvenirs…

La sidération peut vous scotcher en apprenant un attentat, un accident d’avion ou un tsunami géant. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec ce que vivent, encore des années plus tard, les personnes victimes, les proches des victimes, les rescapés ou les témoins. Les plus impliqués souffrent très souvent de réminiscences pénibles et terriblement angoissantes.

Ils voudraient bien effacer tout ça.

C’est que, chez elles, il ne s’agit pas de souvenirs retrouvés sans effort. Il s’agit de souvenirs insistants qui s’imposent à leur conscience sans prévenir. Et contre lesquels elles se sentent impuissantes.

Parfois, ils sont déclenchés par un bruit ou une voix rappelant un bruit ou une voix entendue pendant les événements. Ou bien une odeur similaire, ou encore la musique qui était jouée à ce moment-là, etc. D’autres fois, on ne repère aucun facteur déclenchant. Le flash arrive toujours subitement, la réminiscence s’impose avec tout son cortège de peur, d’angoisse, de panique ou de sentiment de mort imminente tel qu’on l’avait connu alors. On revit quasiment Evènement. C’est le syndrome de stress post traumatique.

Mais peut-être lisez-vous cet article parce que vous êtes seulement tourmenté par un mauvais souvenir d’une gravité bien moindre. Un échec amoureux douloureux, un licenciement brutal, un accident de la route que vous auriez pu éviter… Il est possible que ce souvenir douloureux encombre malgré tout votre esprit presque en continu.

Vous voudriez bien gommer tout ça, vous en libérer tellement ça vous obsède. Cela ne vous donne toutefois qu’une très petite idée de ce que vivent les personnes sous emprise d’un PTSD.

Néanmoins, il y a un point commun : le désir de refouler, de gommer, d’éloigner, d’effacer de la conscience ces souvenirs, qu’ils soient seulement pénibles ou épouvantablement douloureux.

Pouvez-vous effacer un souvenir douloureux
en gommant les émotions associées ?

Puisque les émotions sont de si puissants fixateurs des souvenirs, ne pourrait-on pas dissiper les souvenirs en effaçant les émotions ? Pour un psychanalyste comme moi, c’est a priori une hérésie. Les émotions « coincées » dans le psychisme sont précisément sources de symptômes…

Mais si, au lieu de les refouler, on parvenait à les affaiblir ? Après tout, c’est ce que Freud semblait viser par ce qu’il appelait l’abréaction. C’est-à-dire la libération des émotions (Freud dit « les affects ») par la parole.

Il s’agissait en fait de verbaliser l’expérience traumatiques dans son ensemble, les faits, les ressentis et les émotions, de façon à ce que ces dernières puissent s’associer à diverses chaînes de pensées. Ainsi, en se divisant entre ces différentes chaînes associatives, la charge émotionnelle se dilue et devient moins forte sur chacune. Y compris sur la première, la chaîne traumatique…

En me formant à la victimologie à mi- carrière, dans les années 90, j’ai eu la surprise de reconnaître l’abréaction freudienne dans le débriefing psychologique. Visiblement, la conception freudienne a été reprise en victimologie, bien souvent sans créditer son auteur.

L’expérience a produit un consensus pour faire parler les victimes et impliqués (proches et témoins) le plus vite possible après un traumatisme, dans les 72 heures en l’occurrence. On est loin de Freud, qui travaillait sur des traumatismes psychologiques anciens.

Plus récemment, la recherche a pris un autre tour, plutôt étonnant. Probablement impulsée par des laboratoires pharmaceutiques, elle s’est portée sur l’injection de substances chimiques…

Quel est le résultat de ces tentatives de gommer
les mauvais souvenirs ?

Les succès sont mitigés. Mais, indiscutablement, il est désormais prouvé que l’affaiblissement des émotions négatives associées à un souvenir rend ce dernier moins perturbant.

C’est assez compréhensible.

D’un côté, les émotions favorisent la mémorisation et le rappel. Mais, lors du rappel, les émotions remontent avec le souvenir des faits. Si on les affaiblit, elles remontent moins intenses et ont moins d’impact. Comme je l’écrivais au début, ce n’est pas le souvenir qui est douloureux mais les émotions qui l’accompagnent.

Voyons donc les résultats de ces méthodes sur les émotions.

L’abréaction freudienne (et ses dérivés) peut-elle affaiblir les émotions négatives ?

A vrai dire, Freud a considéré sa trouvaille insuffisante. Poursuivant ses recherches, il a alors inventé la psychanalyse. Néanmoins l‘abréaction n’a pas disparu pour autant.

Outre en psychanalyse, elle trouve place dans l’hypnose pour traiter des traumatismes psychiques. Également dans l’EMDR (Eyes Movement Desensibilization and Reprocessing), une sorte de para-hypnose, pour la désensibilisation et le retraitement par le mouvement des yeux. Au début, j’étais sceptique mais je me suis rendu à l’évidence : cette technique peut obtenir des abréactions.

Elle serait même, à en croire les praticiens, « validée par l’Inserm ». En fait, non. L’Inserm a juste collationné les résultats de 14 études extérieures. En conclusion de cette méta-étude, le professeur Fauconnier écrit : « l’EMDR serait efficace avec un haut niveau de preuve dans la prise en charge du PTSD chez l’adulte » mais « l’effet placebo n’a pas été pris en compte ».

On est très loin d’une validation. Toutefois, les effets positifs, quoique avec réserves, sont admis.

Pour ma part, c’est égal que le ressort soit une efficacité spécifique ou une efficacité de type placebo. Face aux souffrances persistantes des rescapés de catastrophes ou d’attentats, il n’y a pas lieu de faire la fine bouche. Si l’AMDR a des résultats, essayons l’AMDR !

Un des avantages de cette technique, aussi bizarre qu’elle paraisse, c’est que vous pouvez y avoir recours pour des difficultés plus légères. Si, comme je l’évoquais plus haut, vous êtes juste à ruminer des pensées obsédantes qui vous assiègent, c’est peut-être une solution pour vous.

Cela dit, dans tous les cas, ce n’est pas l’abréaction qui peut recycler les émotions exprimées dans d’autres chaînes psychiques. Un retraitement doit impérativement suivre et c’est ce dernier qui fera baisser l’intensité émotionnelle.

Le débriefing psychologique peut-il estomper
les émotions négatives ?

Le débriefing psychologique est promu par les victimologues comme une arme de désensibilisation rapide. Il s’agit pour eux de réunir dans un très court délai les victimes de catastrophes ou d’attentats sous la houlette d’un spécialiste.

Cette réunion est unique et dure une à trois heures en moyenne. Elle suit un protocole assez rigoureux, généralement en quatre temps.

  • Collecte des données. Que s’est-il passé ? Quels sont les faits ?
  • Collationnement des pensées. Qu’avez-vous compris, interprété ou imaginé sur le moment ?
  • Collecte des émotions et des ressentis corporels
  • Information par le meneur sur les symptômes du PTSD, considérés comme des réactions normales à une situation anormale

On attend de ce dispositif que les émotions exprimées au temps 3 se répartissent dans des chaînes cognitives élaborées au temps 1. Les promoteurs de la technique avancent évidemment des résultats positifs. Pour les confirmer il faut regarder les méta-études qui agrègent les publications.

Il faut avouer que les résultats sont mitigés.

Les protocoles ne sont pas toujours les mêmes, les victimes et les impliqués peuvent être mélangés ou pas, les niveaux de gravité sont variables… Certaines études donnent de forts pourcentages de réussite et d’autre non. Les niveaux de réussite ne sont pas mesurés de la même manière, parfois c’est fondé sur un examen clinique, parfois c’est juste une auto-évaluation par questionnaire, certaines études ont été faites quelques semaines après le débriefing, d’autres plusieurs années après…

Bref, vous l’aurez compris, c’est difficilement exploitable. Malgré cela, les cellules d’intervention psychologique d’urgence pratiquent toutes le débriefing. Il faut dire qu’on ne suspecte pas qu’il puisse aggravation l’état des victimes. Alors tant qu’à faire…

Personnellement, j’ai reçu des victimes en très grandes difficultés malgré leur participation à un débriefing. Mais elles n’avaient pas le sentiment que cela avait été nuisible.

Une substance médicamenteuse peut-elle effacer
la douleur liée au souvenir ?

Un compte-rendu d’expérience a été publié il y a quelques années par le chercheur Alain Brunet de l’Université McGill à Montréal. J’apprécie beaucoup les études de ce psychologue clinicien. Il s’était fait remarquer lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris en proposant au directeur de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris de former bénévolement des médecins à sa technique.

L’étude qu’il a publiée récemment concerne 60 personnes souffrant de stress post traumatique. Le protocole était le suivant :

  • Après une injection de propranolol, un anxiolytique, le sujet raconte son histoire traumatique et son récit est consigné.
  • La semaine suivante, il vient lire son histoire à haute voix après avoir repris du propanolol
  • On recommence les 5 semaines suivantes.

Le protocole dure donc 6 semaines.

C’est tout.

Le résultat est étonnant : dès la cinquième ou sixième semaine, les patients disent se sentir en décalage par rapport à leur texte. Le souvenir n’est pas effacé mais la charge émotionnelle a baissé considérablement. La souffrance a pratiquement disparu.

C’est presque trop beau pour être vrai. Pourtant cet éminent psychologue est des plus sérieux. Son offre de formation a d’ailleurs été acceptée et 200 médecins ont été formés en France. Cela dépasse le cadre l’AP-HP. D’autres établissement se sont agrégés au projet et 400 victimes d’attentats suivent actuellement ce protocole.

L’étude est dirigée par le Professeur Millet de la Pitié Salpêtrière. On devrait avoir les résultats globaux en 2022. Son grand intérêt est que des centaines de personnes suivent un protocole identique. On aura donc des résultats fiables. Compte tenu des résultats obtenus sur la première cohorte de 60 personnes, l’espoir est permis.

Une substance médicamenteuse pour effacer carrément le souvenir lui-même ?

Dans ce but, une équipe madrilène (Bryan Strange et Ana Galarza Vallejo) injecte du propofol, un anesthésique, au moment de la réactivation d’un souvenir négatif.

Mais ils exagèrent un tantinet, les Ibériques…

Leurs sujets sont des personnes devant être anesthésiées au propofol pour une endoscopie. Une semaine auparavant on leur fait lire des histoires difficiles illustrées d’images émotionnellement négatives. On recommence juste avant l’anesthésie et paf ! on les endort.

Au réveil, ils ont du mal à se remémorer les histoires. Ceux du groupe témoin, qui les ont lues aussi la semaine précédente mais sans réactivation avant l’anesthésie, se les rappellent bien mieux.

Conclusion de l’équipe : une injection de propofol au moment de la réactivation du souvenir permet d’estomper le souvenir lui-même…

A mon sens, c’est du grand n’importe quoi :

  • Les sujets ne sont pas vraiment concernés. Beaucoup moins que les témoins véritables des histoires racontées. La vision d’images émotionnellement négatives n’est certes pas sans valeur. On la connait, au contraire, depuis l’Antiquité et on l’utilise dans la méthode des lieux, pour mieux retenir certaines informations. Mais ce n’est pas impliquant.
  • Du coup, Il n’y a pas le moindre traumatisme. Dès lors, quel serait l’intérêt de dissoudre un souvenir qui ne gêne pas ? D’autant que, au naturel, il sera de toute façon oublié…
  • Le souvenir n’est pas effacé, mais seulement difficile à retrouver tant que l’anesthésique n’est pas complètement dissipé. L’étude ne peut que l’admettre.
  • Ce n’est franchement pas un scoop. On sait depuis longtemps que les anesthésiques peuvent provoquer des troubles de mémoire et qu’ils sont transitoires.

Voilà donc une étude qui en suscitera peut-être d’autres, mais qui, pour l’instant, ne nous apprend rien… Bref, l’effacement du souvenir n’est pas pour demain… à moins de subir une anesthésie toutes les 24 heures !

Conclusion provisoire

Certaines techniques permettent réellement de diminuer l’intensité émotionnelle liée à un souvenir douloureux. Du coup, ce dernier devient moins douloureux.

L’effacement du souvenir lui-même ne semble pas à l’ordre du jour.

Je peux affirmer sans crainte que c’est impossible. Un souvenir n’est jamais monolithique. C’est une entité à multiple composantes et la composante émotionnelle n’en est qu’une parmi d’autres. Il faudrait les identifier toutes. Et trouver le moyen de les faire toutes disparaître totalement… Alors le souvenir n’existerait plus.

C’est de la science-fiction.

La suite si vous êtes vraiment motivé(e)…

Je ne vous ai pas expliqué par quel processus une émotion mémorisée peut être atténuée. En fait, quelquefois, on triche un peu, on la remplace par une autre un peu moins intense. Et on recommence… Comment on fait ça. Ce sera peut-être le sujet d’un prochain article.

Mise à jour du 9 septembre 2021. J’ai recherché les résultats de l’étude de Paris. Pour le moment, je n’ai trouvé que « l’abstract » de l’étude sur ce site (activez la traduction automatique si vous avez du mal avec l’anglais.

Par la même occasion, j’ai trouvé une autre étude canadienne, dont « l’abstract » évoque le résultat. Cela concerne des victimes traitées plus de 20 ans après les événements. Avec des résultats encourageants. Le résumé de l’étude est ici. 

Pour Paris, je vais prendre contact avec le Professeur Millet pour tâcher d’en savoir plus. Si vous êtes abonné, je vous tiendrai au courant par émail.

Mise à jour du 13 octobre 2021. Le professeur MILLET que j’ai interrogé récemment m’a envoyé un courrier il y a une dizaine de jours pour me préciser que les analyses statistiques étaient encore en cours et que les résultats globaux seraient publiés avant la fin novembre. Nous allons donc bientôt en savoir plus sur cette étude qui est une première en France.

Mise à jour du 7 avril 2022. Je n’ai pas encore de nouvelles des résultats mais c’est peut-être moi qui les ai zappés. Je vérifie et je modifie l’article si je les trouve.