Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

Introduction

Une super mémoire d’éléphant ? L’expression « avoir une mémoire d’éléphant » est-elle justifiée ? Les éléphants mémoriseraient-ils vraiment mieux que nous ? Pourrions-nous acquérir une mémoire d’éléphant ?

En fait, l’expression est tellement courante qu’on en oublie de l’interroger sur le plan scientifique. En effet, il semble qu’aucun site Internet traitant de la mémoire ne se soit posé la question. Il était temps que je m’y mette…

Pratiquement pas d’études émanant de spécialistes de la mémoire

Avertissement: cet article n’est pas au standard de bien d’autres articles dans ce blog, concernant les données scientifiques. J’en ai trouvé très peu. J’ai quand même décidé de faire l’article, sur un mode plus conjectural.

Cela amène, d’ailleurs, plusieurs questions :

– la mémoire des éléphants est-elle meilleure que celles des autres animaux ?

– est-elle meilleure que celle des humains ? 

– mais, au fait, comment mesurer la mémoire des éléphants ?

Mais des observations de spécialistes des éléphants

J’ai lu diverses appréciations contradictoires sur ce sujet. Elles n’émanaient pas de sommités scientifiques. J’en ai trouvé de passionnantes cependant, concernant essentiellement la mémoire d’éléphants d’Afrique. Elles n’émanent pas de spécialistes de la mémoire donc, mais de spécialistes… des éléphants. Des observations plus que des études, mais susceptibles de donner une bonne idée de la mémoire éléphantine.

Selon de nombreux témoignages de ces spécialistes, les éléphants se rappellent les humains qu’ils ont connus ou rencontrés, même il y a longtemps. C’est au moins aussi vrai concernant leurs congénères. Ils mémorisent aussi les itinéraires de migrations et se souviennent très bien des évènements qui les concernent ou affectent leur vie.

Au Café du Commerce on vous dira qu’ils se souviennent particulièrement des mauvais traitements qu’ils ont reçus. Effectivement l’observation est aujourd’hui vérifiée dans les zones de guerre qui ont fait des victimes dans leurs rangs. Elle se vérifie aussi lorsqu’un troupeau d’éléphant rencontre un contrebandier d’ivoire ayant tué un de leurs congénères quelques années auparavant. Ce dernier a intérêt à ne pas s’attarder… 

Mais il se souviennent tout aussi bien des bons traitements qu’ils ont pu recevoir lorsqu’ils se sont trouvé en difficulté et ont été aidés par des humains.

Pour autant, la mémoire des éléphants est-elle si exceptionnelle ?

Pour en décider il faut utiliser la même définition générale de la mémoire en tant que processus en oubliant ce à quoi elle s’applique. Car on ne va évidemment pas tester la mémoire d’un éléphant sur sa capacité à retenir une chanson ou un théorème de mathématique ! 

Qu’est-ce donc que la mémoire, déjà ? 

La mémoire est un processus qui permet dans un premier temps de stocker des informations qui ont été perçues. Ensuite il permet de retrouver ces informations, de les ramener à la conscience en dehors du contexte initial.

La mémoire aide donc à apprendre, à comprendre le monde et à le transformer. C’est une fonction cognitive essentielle sans laquelle il serait impossible d’agir intelligemment. La mémoire permet d’agir en anticipant les résultats en fonction des expériences passées.

Evidemment, il s’agit d’un phénomène complexe qui implique plusieurs types de processus mentaux. La mémoire à long terme, par exemple, est le type de mémoire qui permet de stocker des souvenirs à long terme. La mémoire à court terme ou la mémoire de travail, en revanche, c’est différent. C’est le type de mémoire qui nous permet d’accueillir temporairement des informations afin que nous puissions les traiter avant de les envoyer à long terme ou non. 

Inutile d’aller plus loin pour le moment. Nous avons là une définition simple mais suffisamment structurée et parfaitement applicable au monde animal. Même si bien sûr la mémoire d’une abeille ou d’un chimpanzé ne traitera pas les mêmes contenus que la mémoire d’un éléphant ou la nôtre.

La mémoire chez les animaux

Comment fonctionne la mémoire chez les animaux ? Probablement comme chez nous. On peut déjà facilement constater que nos animaux familiers mémorisent à court terme et à long terme. Certains, un peu moins familiers comme les chimpanzés, peuvent même montrer des capacités de mémoire à court terme qui dépassent de très loin les nôtres. 

Visiblement, ils ont des mémoires sensorielles (visuelle, olfactive, auditive…) et leur mémoire olfactive est souvent meilleure que la nôtre.  Ils ont aussi une mémoire procédurale puisque lorsqu’ils ont appris à faire quelque chose. Cette capacité perdure dans le temps (je l’ai déjà vérifié chez mon chat…). Et avec l’expérience, ils deviennent de plus en plus rapides et de plus en plus efficaces. Comme nous…

Egalement, ils ont une bonne mémoire de reconnaissance ; notamment des lieux, de leurs congénères, des humains qu’ils sont côtoyés par exemple.

Certes, ils n’ont pas de mémoire verbale, pas non plus de mémoire lexicale évidemment. Encore que, pour certains, on pourrait en douter. Souvenez-vous de cette femelle chimpanzé à qui l’on avait appris des rudiments de langue des signes et qui les avait enseignés à son tour à son petit…. 

Mais ils ont comme nous des neurones de lieu qui leur permettent de mémoriser des itinéraires et de savoir où ils se trouvent. C’est vrai de la plupart des animaux disons assez évolués (peut-être pas des pucerons, des vers de terre ou des paramécies…).

Comparaison de la mémoire des éléphants à celles des autres animaux

Et si l’on en croit les observations, ce ne sont pas les seuls animaux à avoir une mémoire aussi développée. Les chimpanzés, les baleines ou les cacatoès ne devraient pas faire pâle figure à côté des éléphants. Les chimpanzés sont probablement les champions du monde de la mémoire à court terme, loin devant nous. Certains cacatoès semblent les suivre de près. Pour la mémoire des éléphants, on ne sait pas.

Cependant, nous savons que leur comportement s’éloigne parfois significativement de celui de la plupart des animaux « supérieurs ». Voici quelques exemples.

Le cas de Shirley et Jenny

Carol Buckley, du Elephant Sanctuary de Hohenwald (Tennessee), rapportait il y a une vingtaine d’année l’observation suivante. Quand Shirley, une éléphante d’Asie, est arrivée à la réserve, les éléphants résidents se sont approchés pour faire connaissance. Mais ce qui a frappé les esprits c’est une auscultation réciproque à la trompe, des barrissements et une euphorie partagée entre Shirley et Jenny une éléphante résidente. On a découvert par la suite que Shirley et Jenny avaient travaillé dans le même cirque, pendant quelques mois seulement, cela 23 ans plus tôt.

La mémoire de ces deux éléphantes a été visiblement ravivée, y compris sur le plan émotionnel. Nous savons que chez l’humain les émotions liées à un événement le rend plus facilement re mémorable. Apparemment, il en est de même chez les pachydermes.

Le cas des matriarches

Des scientifiques de la Wildlife Conservation Society rapportent quant à eux des différences de comportement lors d’une sécheresse, selon l’âge des matriarches. Alors que la sécheresse sévissait dans le parc, les matriarches les plus âgées ont fait migrer leur famille dans une autre zone du parc où la sécheresse s’est révélée moins grave.

La matriarche la plus jeune ne l’a pas fait. Son groupe a beaucoup plus souffert que les autres et a enregistré un taux de mortalité de 20 % chez les éléphanteaux nouveau-nés. C’était très supérieur au taux des groupes qui avaient migré.

Il s’est révélé ensuite que les matriarches plus âgées avaient déjà connu un épisode de sécheresse similaire à laquelle elles avaient échappé par la migration… 35 ans plus tôt. La jeune matriarche n’avait que 3 ans à l’époque, elle n’avait pas fixé ce souvenir. Les plus âgées, si.

Ces différences sont elles significatives ?

Difficile à dire. La mémoire à long terme des éléphants semble particulièrement développée. Mais on ne sait quasiment rien de leur mémoire à court terme. En tout cas, je n’a rien trouvé dans la littérature scientifique sur la mémoire à court terme des éléphants.

Peut-être sont-ils aussi doués que les chimpanzés sur ce plan ? On n’a aucun moyen de le savoir. Pour le reste, il parait assez vain d’essayer de situer les éléphants sur une échelle de mémoire commune. Chaque espèce utilise sa mémoire dans un environnent spécifique et pour des actions spécifiques.

Par exemple, les éléphants ont une mémoire spatiale et une mémoire des lieux qui accumulent des données pendant des décennies. Les félins, les loups et d’autres animaux accumulent en mémoire procédurale des savoir-faire en matière de chasse collective d’animaux plus gros qu’eux. Et cela sur des temps de vie plus courts.

Les comparaisons sont difficiles parce qu’une espèce utilise tel ou tel type de mémoire, en fonction de ses nécessités de survie. Un éléphant, par exemple, n’a pas besoin de mémoriser beaucoup de données concernant les prédateurs puisqu’il n’en a pas. A part les humains bien entendu. Sur ce plan la mémoire de l’éléphant est performante.

Leurs plus dangereux prédateurs en Afrique sont les Masaïs. Eh bien, ils ont parfaitement mémorisé les caractéristiques spécifiques de leur voix ou de leur langage et s’en éloignent dès qu’ils les entendent au loin.

Ce qui est intéressant dans cette observation c’est qu’il ne s’agit pas du souvenir d’une voix humaine en particulier (tous les animaux en interaction avec les humains semblent capables de cela) mais de caractéristiques phonologiques. Ils se sont apparemment fabriqué un concept de « voix d’humains dangereux ». Cela nous renseigne sur leurs capacités d’intelligence et d’abstraction.

Comparaison de la mémoire des éléphants à la mémoire des humains 

Si l’on en croit les observations (et il n’y a pas que celles que j’ai évoquées) il n’y a aucun doute que la mémoire des éléphants est particulièrement développée. J’ai lu sous la plume d’un auteur « cela n’a rien d’étonnant puisque leur cerveau est plus gros que celui de tout autre mammifère terrestre » … Cela n’a pas beaucoup de sens car le volume du cerveau est sans rapport avec l’intelligence ou la mémoire de son propriétaire.

Le nombre des neurones et leurs interconnexions sont de meilleurs indicateurs. D’ailleurs certains animaux ont moins de neurones que d’autres malgré une masse cérébrale similaire. Cela, parce qu’ils ont de plus gros neurones…

Les éléphants on en fait par rapport à leur masse un cerveau plutôt petit de seulement 4 à 5 kilos, ce qui ne représente même pas le millième de leur poids. Alors que chez nous c’est carrément 2 % ! Mais on n’a pas de quoi pavoiser car ce qui compte, ce sont les associations neuronales.

Or, les éléphants ont environ 250 milliards de neurones à comparer avec nos petits 86 milliards (c’est le dernier comptage…), soit environ trois fois plus de neurones que nous. En revanche on a encore peu de données sur le nombre des synapses. Mais, par ailleurs, ils ont un hippocampe particulièrement développé par rapport au reste de leur cerveau. Comme chez nous, il est donc probable qu’il joue le rôle de porte d’entrée de la mémoire à long terme.

Mais est-il vraiment pertinent de chercher la comparaison à tout prix ? La seule chose qu’on peut dire avec certitude c’est que les éléphants égalent probablement les humains sur le fait d’avoir des souvenirs très anciens.

Conclusion

Dans les troupeaux, les spécialistes constatent que ce sont toujours les plus âgés qui parviennent le mieux à s’adapter. En d’autres termes, l’expérience accumulée compte. Ce qui est un bon indice de la capacité d’apprentissage qui est elle-même un bon indice de la qualité de la mémoire.

Cela devrait nous suffire pour estimer qu’une « mémoire d’éléphant » est une bonne mémoire. Certainement meilleure qu’une mémoire d’écureuil, sachant que ce dernier n’est pas toujours capable de retrouver où il a planqué ses noisettes pour l’hiver… Alors que Jumbo, lui, ou du moins sa matriarche, saura retrouver un point d’eau situé à plus de 500 kilomètres.

Cet article sans prétention est sans doute plus « récréatif » que scientifique. Et pour cause, car je n’ai trouvé aucune trace d’une véritable expérimentation sur la mémoire des éléphants. Comme je le disais plus haut, il est assez difficile de les amener en laboratoire… Mais on pourrait tout de même organiser des tests dans les zoos par exemple. Si vous en connaissez (des test de mémoire sur les éléphants, pas des zoos), faites-moi signe.

En attendant, il s’agissait juste de s’interroger sur le bien-fondé d’une expression courante. Etant donné que l’éléphant est un bon mémorisateur, nous pouvons la valider, sans nous… tromper (il fallait bien que je la fasse, celle-là, sinon vous auriez été déçus…).

Quant à acquérir une mémoire d’éléphant, prenons l’expression pour ce qu’elle est. Une expression imagée plaisante. Tout le monde sait ce que l’on veut dire par là. Cela dit, mémoire d’éléphant ou pas, vous pouvez toujours améliorer votre mémoire… Petit clin d’œil: si vous cliquez sur le lien ci-avant, vous verrez que j’avais choisi à l’époque pour illustrer cet article, et sans y penser plus que ça, une photo… d’éléphant !