Le Club Memori
Pour ceux qui veulent comprendre, maintenir et améliorer leur mémoire.
Vulgarisation scientifique, méthodes, trucs et astuces pour bien mémoriser.

Le flow est un état mental qui permet une extrême concentration, une fermeture aux distractions et une redoutable efficacité au travail ou dans vos activités privées. Mais comment se forme-t-il ?

Cet article cherche à analyser le phénomène et à mettre en évidence les implications pratiques. Sans oublier le principal : comment peut-on entrer dans le « flow » ? Le « flow », peut-on le créer, l’exploiter, le maitriser pour être plus productif, plus efficace voire plus heureux ? Car ce sont bel et bien les promesses que vous font presque tous les auteurs.

Au fait, je me demande si on devrait d’ailleurs plutôt dire le « flux » ou le « flot » mais l’usage du terme anglais s’est (malheureusement selon moi) déjà imposé. On va devoir faire avec.

Avant de poursuivre toutefois, quel rapport avec la mémoire ? Il y en a évidemment un puisque la concentration, extrême ou pas, est un puissant facteur de mémorisation. Pour autant, je tiendrais cela comme sous-entendu et le mot mémoire ne sera probablement pas beaucoup prononcé dans cet article.

Mon expérience personnelle du « flow ».

Une mission impossible

Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir j’ai fait plus d’une fois du flow sans le savoir… Je ne savais même pas que cet état portait un nom… Cette découverte est à l’origine de cet article.

Permettez-moi donc de vous raconter ma dernière expérience de flow, puisque c’est ainsi que ça se nomme. Nous sommes à la fin du printemps 2017 et je dois donner une conférence sur la mémoire en octobre. J’ai aussi un projet de livre (« Prouesses de mémoire »). Je pense le publier en fin d’année.

C’est serré, la tâche est rude, mais paradoxalement j’entends une petite musique dans ma tête : « et si je sortais le bouquin juste avant ma conférence au congrès de la mémoire de Saint Malo ? ».

Ça me parait impossible et d’ailleurs je ne trouve pas le temps d’écrire plus que le début de l’introduction. Je me fais une raison : je commencerai pendant mon mois de vacances, de mi-juillet à mi-août et je publierai comme prévu en fin d’année.

L’expérience n’est pas concluante. J’ai d’autres activités, j’ai ma conférence à écrire, et je suis sans cesse dérangé. Finalement, à la fin des vacances, j’ai à peine fait ma conférence et le plan du livre.

Revenu à la maison ça n’est pas mieux. Je subis une avalanche d’imprévus. Nous voilà maintenant dans la première quinzaine de septembre. Ma conférence au congrès est prévue pour le 7 octobre. À ce moment-là germe, contre toute raison, une idée folle.

« Et si je m’y mettais à fond tout de suite pour sortir le bouquin à temps quand même ? » ! Avec l’idée de le faire connaître à cette occasion…

Une idée folle et un état bizarre

C’est carrément un défi que je me lance moi-même… tout en me disant que je n’y arriverai jamais ! Pourtant, je n’attends pas. Aussitôt pensé, aussitôt commencé.

Heureusement, j’ai peu d’obligations, d’interruptions ou d’imprévus pendant les semaines qui suivent. Je me lance à fond depuis 8 heures le matin jusqu’à 20 h le soir et je m’y remets encore après diner.

L’expérience est étrange. J’ai l’impression d’être dans un tunnel de concentration. Je ne sais jamais quelle heure il est, je suis étonné quand on m’appelle pour déjeuner ou dîner. « Déjà ? ». Ma notion du temps se rétrécit, j’ai l’impression d’avoir travaillé une heure quand c’est trois ou quatre. Mon niveau de conscience de ce qu’il se passe à l’extérieur est faible.

Je me sens bizarrement porté par un… flux qui m’emmène malgré moi. Comme un courant marin contre lequel un esquif ne pourrait pourrait pas lutter. Curieusement, je ne sens pas trop la fatigue et j’ai l’impression d’être en pleine forme. Je fonce.

Dès que je commence à écrire, je change d’univers et je deviens sourd et aveugle à ce qu’il se passe autour de moi. Il faut m’appeler trois fois pour que je sorte de cet état modifié de conscience. Je me suis demandé après-coup à quoi aurait ressemblé mon électroencéphalogramme ou mon IRM cérébral pendant cette période mais je n’aurai jamais la réponse. Est-ce que c’est ça le flow ?

Toujours est-il que vingt-et-un jours plus tard je termine le bouquin. Pas loin de 300 pages en 3 semaines. Antérieurement, pour écrire un (tout petit) livre, mon record involontaire avait été de 3 mois. Cette fois il ne m’aura pas fallu le quart de cette durée pour faire bien plus. Mon objectif est atteint, je n’en reviens pas.

Un mauvais coup du sort

Nous sommes alors le 23 septembre au soir et le lendemain je compose le livre sur une plateforme d’autoédition en ligne. Je communique la pagination et l’épaisseur de la tranche à mon graphiste pour faire la couverture, pile-poil le jour convenu avec lui une dizaine de jours auparavant.

Il m’avait promis de fournir la couverture sous 48 heures. Le lendemain il m’envoie un émail pour se dédire… il n’aura pas le temps ! Alarme générale, je lance des bouées à mes connaissances, on me conseille, je me mets à apprendre le graphisme en mode d’urgence ! Je retrouve vite le même état de flow que précédemment.

Pendant ce temps-là mon épouse et une amie à distance traquent les fautes de frappes et les coquilles et il y en a des quantités hallucinantes. Le flow c’est bien joli mais je n’avais pas le temps de revenir en arrière pour me préoccuper de ça… Et on n’aura pas le temps de réviser suffisamment le texte.

Deux jours plus tard, je parviens non sans mal à produire une première et un quatrième de couverture qui n’obtiendra certainement jamais un prix de beauté.

Mais enfin j’ai une couverture et je lance le 27 septembre au soir l’impression d’une dizaine d’exemplaires du livre que je dois recevoir dans 8 à 10 jours.

Je dois prendre le train pour Saint Malo le 5 octobre au matin…

Croyez-le ou non, mais j’ai reçu mes exemplaires une heure avant de partir pour la gare. J’avais un peu honte des coquilles encore nombreuses qui émaillaient le texte mais tant pis, j’étais content de l’avoir fait ! Malgré ce gros défaut j’avais le sentiment d’avoir fait un exploit, au delà de ce que je croyais connaître de mes capacités.

Mais le flow dans tout ça ?

L’histoire est jolie et authentique mais ne perdons pas de vue le sujet : le flow, cet état mental vraiment spécial que j’ai vécu fortement. A vrai dire, ce n’était pas la première fois, mais aussi intensément si.

Comment le décrire ?

Une sorte d’impression de plénitude sans fatigue cérébrale apparente. Une sorte de sentiment d’invulnérabilité, d’inéluctabilité de la réussite que j’ai ressenti au bout d’une dizaine de jours lorsque j’ai constaté que j’avais quasiment écrit la moitié du livre. J’étais alors sûr d’y arriver.

La fatigue béate du soir, l’endormissement rapide. Une satisfaction grandissante jour après jour et culminant au moment du point final. Une sorte de bonheur d’auteur, un peu teintée d’incrédulité.

La satisfaction était double. D’abord, le travail avait été paradoxalement plaisant malgré son exigence. Mais il est vrai que je fais partie de ces gens bizarres qui prennent intrinsèquement plaisir à travailler… Ensuite, le résultat, l’exploit, l’objectif atteint, cela aussi était plaisant.

En tout cas c’est ainsi que j’ai vécu cette période. Si j’avais eu un tempérament démonstratif (tout le contraire de moi, ça) j’aurais même probablement jubilé. D’ailleurs l’auteur que je vais citer dans quelques lignes dit que le flow c’est le bonheur… rien que ça !

Mais qu’est-ce donc que le flow ?

C’est le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi qui l’a décrit à la fin des années 1970. Pour lui, le flow est un état mental dans lequel une personne effectuant une activité est complètement immergée « dans un sentiment de concentration énergique, d’implication totale et de plaisir ».

Notre ami Csíkszentmihályi, (ça se prononce à peu près « mi ayi sinti aï ») a beaucoup écrit sur la relation entre le flow et le bonheur, la santé et le succès. Il va même jusqu’à parler d’une « expérience optimale » en évoquant « un état dans lequel les gens sont tellement impliqués dans une activité que plus rien d’autre ne semble avoir d’importance ».

D’autres évoquent une sorte d’état de grâce…

Dans tout ce que je lis ces derniers temps sur la question, je retrouve aussi la perte de notion du temps, le sentiment d’être à fond « dans » ce que l’on fait.

Quoi qu’il en soit, cette notion de flow a vite été adopté par la psychologie positive. De quoi s’agit-il ? D’une invention de Martin Seligman alors qu’il présidait l’Association Américaine de Psychologie. À l’occasion du congrès de l’AAP en 1998, il a promu l’idée d’une psychologie centrée sur le positif, le bonheur, le plaisir, la résilience etc.

C’est typiquement américain, cela ne s’embarrasse pas trop de rigueur scientifique, ça plait beaucoup et ça enrichit nettement les psychologues « positifs ». Notons qu’en 2017 le congrès annuel de l’AAP a quelque peu viré de bord à ce sujet et que la psychologie « positive » y a été sérieusement critiquée.

Le flow selon les chercheurs

Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain car le phénomène de flow (ou flux, voir flot, ce serait plus français dans l’hexagone…) existe bel et bien et vous l’avez peut-être aussi déjà expérimenté. Et si les psychologues « positifs » ont lancé la notion de flow comme un produit marketing, ça ne doit pas nous empêcher de nous y intéresser.

Que peut-on constater ?

Il semble évidemment qu’on doive parler d’une expérience d’extrême concentration mais ce n’est pas suffisant. Pour atteindre l’état de flow, il semble qu’il faille d’abord une forte motivation. La notion de défi à relever est souvent présente. Alors vous pouvez mobiliser au maximum vos capacités pour agir efficacement sans vous laisser distraire.

Au fil des études et des témoignages, les chercheurs ont pu dresser la liste des « ingrédients » que l’on retrouve le plus souvent dans le flow. Notamment ceux-ci:

• Un projet, un objectif stimulant ou un défi à relever,
• Une concentration intense et de longue durée sans en ressentir l’effort
• Une mobilisation importante des capacités avec la sensation d’être efficace
• Un vécu intense du moment présent, la sensation d’être « dans » ce que l’on fait, une sorte de fusion dans l’action, l’individu et l’action ne faisant plus qu’un.
• Une perception modifiée du temps et de la durée, l’impression d’être hors du temps
• Une satisfaction intense, intrinsèque, à faire ce que l’on fait

En ce qui me concerne, à la lueur de mon expérience, je valide tous ces points.

Mais pourquoi le flow ?

Csíkszentmihályi une théorie là-dessus. Votre cerveau, pense-t-il, craint l’ennui, l’inaction ou la dépression. Alors, il chercherait à se concentrer sur des activités à haute valeur en mobilisant intensément votre concentration et vos ressources.

L’auteur produit le schéma ci-dessous pour imager son propos. Selon ce schéma, on obtient le flow quand le niveau de défi et le niveau de compétence sont hauts. Quand ils sont bas, on obtient de l’apathie.

Hum… J’aurais tendance à penser que les deux ingrédients sont justes, mais est-ce que leur existence va automatiquement créer un état de flow quand ils sont hauts et de l’apathie quand ils sont bas ? Ça me parait trop beau pour être vrai.

J’ai connu des gens de faible niveau de compétence et de défi et qui étaient loin d’être inactifs ou apathiques. Et chez les multi potentiels, j’en sais quelque chose, le haut niveau de défi et de compétence ne crée pas automatiquement cet état.

Mon impression serait plutôt que le défi devrait a priori dépasser le niveau de compétence que l’on s’attribue. Dans ce cas-là je ne vois que deux cas de figure : soit on renonce, soit on fonce. Mais cela tient peut-être à mes caractéristiques personnelles qui ne seraient peut-être pas généralisables.

Toutefois pas mal d’auteurs ont levé ce lièvre. Pour eux, un niveau de défi un peu supérieur aux capacités dont on dispose favoriserait le flow.

Une autre notion revient régulièrement : le flow serait l’apanage des personnes qui trouvent de la satisfaction dans l’action elle-même sans rapport avec le résultat. Une sorte de plaisir intrinsèque de l’action. Ceux qui l’expérimentent seraient souvent créatifs, curieux, persévérants et peu égocentriques…

Eh, mais c’est tout moi, ça ! 😊

Le flow chez les sportifs

Le défi, l’exploit, voilà un vocabulaire que ne renieraient pas les sportifs.

Un lecteur, Mickael Caillaux m’a d’ailleurs justement suggéré de m’intéresser au flow dans le sport. Sur le moment, ça ne me disait rien. A la réflexion, je me souviens d’interviews dans lesquelles un sportif décrivait une sorte d’état de perfection (d’un geste, d’une trajectoire de balle, par exemple).

Le vocabulaire employé n’était pas éloigné du mien : une sorte de d’exaltation, un sentiment d’être emporté, guidé comme par magie, à faire exactement ce qu’il faut pour obtenir le résultat escompté, à être exactement où il faut au moment où il faut pour un résultat parfait.

L’institut de recherche du Bien-Être de la Médecine et du Sport Santé avait déjà publié un article sur la question en 2007. Cet article définissait le flow comme « un état d’équilibre parfait entre les exigences de la situation et le potentiel développé par l’athlète ».

Une définition un peu alambiquée mais adoucie par des citations de sportifs parlant de « petits nuages » ou de « pilote automatique ». À moins qu’ils n’évoquent le fait d’être « dans un autre monde » (plus haut je parlais pour moi d’un changement d’univers), immergés totalement dans leur activité avec un grand sentiment d’efficacité, de plaisir et de satisfaction.

Cela m’a remis en mémoire quelques belles actions lors de la finale du championnat du monde de football en 1998. Je ne connais rien au football (je me suis toujours demandé pourquoi il n’y a qu’un seul ballon pour tant de joueurs…) mais je m’étais laissé convaincre pour regarder le match à la télévision et je l’avais trouvé souvent beau.

Le flow collectif existe-t-il ?

Par beau, je veux dire par là qu’en vue aérienne, certaines actions paraissaient si parfaites que c’en était esthétiquement beau autant qu’efficace sur le terrain. Et en y repensant, je me suis demandé si le flow pourrait être collectif. Et il semblerait bien que oui.

L’article que j’ai évoqué plus haut cite plusieurs auteurs qui, bien que n’étant pas des chercheurs, on néanmoins recueilli des témoignages de sportifs. Et ils retrouvent effectivement bien les caractéristiques notées par Csíkszentmihályi (voir plus bas) qui s’est le premier intéressé à ce phénomène. En l’occurrence : hyper concentration, sentiment de contrôle, efficacité maximale, sentiment de réussite facile, distorsion du temps, et même, je cite « un sentiment de jouer au ralenti ».

Ce dernier point m’interpelle car j’ai eu aussi l’impression que le temps ne s’écoulait pas, j’étais toujours étonné du temps écoulé.

Quoi qu’il en soit, pas de doute le flow en sport ça existe. Mais collectif ?

En bien oui, j’ai découvert pas mal d’études sur ce sujet aussi. Dans celles-ci, je note qu’elles ne concernent pas que le sport. Le flow de groupe, ça existe aussi dans les ensembles musicaux, par exemple. Mais rien ne distingue le « flow musical » du « flow » sportif de groupe.

Le flow de groupe dans un orchestre symphonique

Il me revient en mémoire une expérience en tant que spectateur il y a… plus de 50 ans. J’étais alors étudiant et, comme je travaillais pour payer mes études, j’avais pu aussi m’offrir un abonnement pour une saison de concerts.

Un soir l’orchestre et le soliste au violon semblaient littéralement voler au-dessus de la perfection. Dans la salle, nous retenions tous notre respiration. C’était mon cas, mais je savais que nous étions tous dans le même état. J’avais les larmes aux yeux et je savais que c’était le cas des autres aussi. Une sorte de communion dans l’émotion.

A la fin du morceau, il y a eu un grand silence. Le violoniste tenait toujours son archet le bras en l’air, immobile comme une statue et dans la salle personne ne bougeait d’un poil. Pas un bruit. Je ne sais pas combien de temps cela a duré. Et puis probablement quelqu’un s’était-il éclairci la gorge ou avait fait grincer son fauteuil, je ne sais plus, et cela a déclenché le tonnerre et les larmes.

Tonnerre d’applaudissements et larmes chez les auditeurs. On se regardait les uns les autres comme pour vérifier qu’on pouvait se permettre de manifester notre émotion puisque nous étions tout dans le même état émotionnel. Un état que je retrouve quasiment intact en écrivant ceci.

L’élan collectif était dirigé vers les musiciens auxquels nous étions reconnaissants de nous avoir fait vivre un moment d’exception. Le flow n’était pas chez nous mais chez eux, bien sûr, même si ce mot n’existait pas encore à l’époque. Mais rétrospectivement je ne vois pas d’autre hypothèse pour évoquer ce moment si rare d’une extraordinaire perfection. Un flow de groupe avait probablement irrigué tout l’orchestre.

En quoi consiste le flow de groupe ?

Il est déjà étonnant que le souvenir de cette expérience me soit revenu quasiment avec les manifestations émotionnelles d’alors. Mais surtout, cinquante ans après, je ne parviens pas à retrouver le nom du soliste, ni celui de l’orchestre, ni celui du chef, ni l’œuvre qu’ils interprétaient ! Il semblerait en revanche que ma mémoire émotionnelle n’ait rien oublié…

Mais revenons à nos moutons. Par rapport au phénomène individuel, le flow collectif se distingue manifestement par le fait que chaque individu dans le groupe est en état de flow. Il s’ensuit alors la coordination parfaite de l’ensemble. Dans les études sur les sportifs, ces derniers témoignent de s’être sentis bien ensemble, comme s’ils étaient chacun partie prenante d’un organisme collectif.

« Un pour tous et tous pour un » pourrait-on dire !

Qu’est-ce qui peut bien mettre en branle cette perfection collective. Le flow chez un ou deux joueurs ou un ou deux musiciens serait-il contagieux auprès des autres membres du groupe ? Ou bien, inversement, s’agirait-il d’emblée d’un phénomène de groupe ? Mais alors comment cela se produit-il ?

On comprend bien l’enjeu pour des enseignants, des formateurs ou des entraîneurs. S’ils pouvaient trouver la recette pour créer du flow de groupe à la demande, ce serait le succès assuré… Nous allons voir ça un peu plus bas. Pour le moment, voyons déjà si l’on connait les prérequis pour se trouver emporté par le… flot.

Comment accéder au flow ?

Il me parait douteux que le phénomène se produise spontanément quand il y a haut niveau de défi et haut niveau de compétence. Pas plus que je ne crois que le cerveau « veut » relever des défis pour ne pas s’ennuyer (voir plus haut). Cette vision du cerveau comme une personnalité douée d’une volonté propre ne correspond pas aux connaissances scientifiques acquises sur le sujet.

Je ne suis pas certain non plus que tous ceux qui vous expliquent comment faire aient expérimenté les conseils qu’ils donnent. Certains enfoncent même des portes ouvertes :

  • ‘Vous devez avoir un objectif et être capable de vous immerger dans la tâche à accomplir’…

Ah, bravo ! pour pouvoir entrer dans le flow vous devez être capable d’y entrer… Si ce n’est pas un bon conseil, ça…

Plus sérieusement, d’après les chercheurs, un certain nombre de prérequis semblent nécessaires. Procédons par ordre.

Les prérequis pour le flow individuel

Tous les chercheurs et les observateurs semblent d’accord sur ces prérequis, avec il est vrai quelques nuances de l’un à l’autre, mais pas plus que ça. J’ai particulièrement noté:

  • Disposer d’un endroit ou d’un environnement de travail propice à son accomplissement
  • Avoir un objectif. Mais attention, l’objectif ne compte pas toujours tant que ça, c’est surtout un « starter ».
  • Être motivé par le travail à fournir au moins autant que par l’objectif.
  • Avoir déjà une bonne capacité d’attention, voire de concentration, et de persévérance.
  • Avoir des compétences suffisantes pour réussir, voire un peu peu justes
  • Pouvoir éviter interruptions et distractions
  • Être capable de vous motiver plus par le chemin parcouru que par le but à atteindre

Arrivé là, j’ai grande envie d’ajouter : être capable de vous oublier et de vous laisser entraîner par le flot… ce qui me met aussitôt sous le feu de ma propre critique : pour pouvoir entrer dans le flow il faut être capable d’y entrer ! Cette liste de prérequis n’est finalement que descriptive et rien ne dit que cocher toutes les cases va vous faire entrer dans l’état de conscience idoine et l’action parfaite à laquelle vous aspirez.

Les prérequis pour le flow de groupe

Aucun chercheur en francophonie ne s’est distingué par une recherche marquante sur ce sujet. Les autres ont surtout œuvré à déterminer les invariants présents dans l’état de flow de groupe. Intéressant mais purement descriptif.

J’ai particulièrement retenu :

  • Un groupe déjà soudé par des expériences antérieures, une bonne entente et un certain confort à l’entraînement.
  • Un objectif clair. Dans le cadre sportif l’objectif ne peut pas être celui de « gagner le match », c’est trop large. Il s’agit plutôt de l’objectif tactique ou stratégique immédiat et le flow collectif suppose que tous ses participants aient identifié en même temps l’objectif du moment. Et ensuite l’objectif suivant, etc.
  • Une motivation et une hyper concentration sur l’objectif à atteindre, entrainant une insensibilité aux éléments extérieurs, aux bruits, aux mouvements du public.
  • Un équilibre entre les compétences à mettre en œuvre et celles demandées par la situation, mais avec une nuance de défi lorsque ces dernières sont légèrement supérieures aux premières.
  • Un retour d’information continu sur l’action en cours, ce qui suppose une analyse fine et ultra rapide de ce qu’il se passe sur le terrain (sport) ou dans l’environnement sonore (musique).

Finalement, le seul prérequis vraiment spécifique pour obtenir un flow de groupe, c’est que le groupe existe déjà… Le reste figure déjà dans le descriptif du flow individuel. Mais personne ne doute pour autant de l’existence du phénomène collectif.

Toutefois, ni les chercheurs rigoureux, ni les entraîneurs empiriques n’ont trouvé le moyen miracle de faire entrer leurs joueurs dans la « zone ». Car oui, les sportifs ont pris conscience de l’existence du flow bien avant de connaître ce terme et les entraîneurs voudraient bien savoir comment provoquer son apparition.

Mais voilà, si on sait bien décrire ce phénomène mais on ne sait pas comment y entrer volontairement.

Le flow et la prise de risque

Voilà un sujet surprenant mais instructif. Il n’y a pas d’études sur cette question pointue mais j’en fait un paragraphe après avoir lu des articles sur le flow dans les sports à risques.

Chez les alpinistes, par exemple, on a remarqué qu’un alpiniste qui témoigne d’un état de flow a sans doute fait une performance, certes, mais curieusement sans prendre de risques. Alors que la prise de risques, contrôlés ou pas, est assez courante dans ce sport.

Ainsi, des confrères engagés dans le même parcours sans connaître cet état ont tous, eux, pris des risques, même limités. Le même constat a pu être fait chez des kayakistes ayant témoigné d’avoir vécu « l’expérience optimale ».

A la réflexion, ce n’est pas étonnant. Si cet état vous permet d’ajuster parfaitement vos actions à la réalité du terrain sur lequel vous vous concentrez, vous faites nécessairement les gestes, les actions les plus adaptées à la situation.

Or, le risque résulte de l’inadaptation de l’action à la situation. Un mauvais jugement ou une absence de discernement vous amène nécessairement à faire des actions risquées. En ce sens le flow est à la fois économique (pas de dispersion, l’effort appliqué juste là où il faut) et sécurisant, il apporte une certaine sérénité dans la pratique sportive à risque. Enfin, quand il se produit…

Les observations sont encore assez rares dans ce domaine et les données collectées me paraissent encore faibles. Notons aussi que, vu de l’extérieur, une action sportive pourrait paraître très risquée alors que, du point de vue de son auteur, elle pourrait paraître couler de source et sans danger aucun. À creuser, donc.

Le flow au travail

Cela va sûrement vous surprendre, mais si je vous disais que c’est au boulot que le flow se produit le plus fréquemment et qu’il est de meilleure qualité que le flow dans les activités de loisirs ?

Galéjade ? Pas du tout ! Après tout, dans les loisirs on recherche la détente, pas forcément la performance optimale… Au travail, il existe presque obligatoirement un équilibre entre vos compétences et celles qui sont requises par le poste. Et s’il se trouve que vous devez mener à bien une mission exaltante légèrement au-dessus de vos compétences, vous voilà face à un défi… Vous reconnaissez bien là, un ingrédient connu de cette expérience.

Bon, ça ne suffira probablement pas à vous faire entrer dans le flow. Mais pour peu que d’autres ingrédients s’en mêlent, par exemple votre plaisir au travail (mais si !), vos capacités de concentration et quelques autres, la probabilité de « flux » (je varie les expressions) sont plus importantes que lorsque vous vous amusez en jouant au croquet (je me demande si ça existe encore ce jeu-là…) avec vos enfants.

Le lieu de travail semble donc bel et bien réunir des conditions nécessaires (mais pas suffisantes pour tout le monde…) pour obtenir cet état modifié de conscience.

Toutefois, il y a de sérieux bémols. On voit mal un manœuvre qui ne rêve que de changer de métier connaitre magiquement un état de flow en manutentionnant des parpaings…

Malgré l’absence d’études sur le sujet, j’imagine que l’autonomie d’action en vue de produire un résultat spécifique, non répétitif, propre aux cadres et aux dirigeants, doit être quand même plus propice à l’apparition du phénomène. Il est très curieux que cette question ne figure jamais dans les prérequis indiqués par les chercheurs…

Le flow dans la vie de couple et chez les cambrioleurs…

Le titre est étrange mais ne fait qu’indiquer la diversité des cas.

Le business du flow

Beaucoup de formateurs, de coaches, de thérapeutes du bonheur, voire de gourous, se sont emparé de la notion de flow pour en faire un business. Il semblerait qu’on puisse la mettre à toutes les sauces. On pourra donc vous proposer des stages ou des séminaires pour atteindre le flow comme si c’était un graal.

On vous proposera de la méditation, du yoga, du coach de vie, de l’ergothérapie et j’en passe pour l’atteindre. J’ai même lu que le flow est « une méthode » qu’on peut vous apprendre à pratiquer… Un autre auteur parle d’une technique qui remplacera avantageusement le LSD.. Un gourou vous promet la réussite par le flow, tandis qu’un autre prestataire vous promet même carrément de connaître l’extase du flow !

Entendons-nous bien: c’est du grand n’importe quoi. De plus on peut très bien vivre sans. Et même heureux sans l’avoir connu. Mais comme toujours, les marchands du temple sont à l’affût et il y aura toujours des croyants dans ce genre de billevesées.

Cependant, même sans partir à la recherche du graal, vous gagnerez probablement à mettre en œuvre les prérequis. J’avais déjà quasiment donné les mêmes dans d’autres articles, pour favoriser l’efficacité du travail intellectuel et de la mémoire (tiens la revoilà…). Je les ai retrouvés également, peu ou prou, dans des ouvrages de « management ». Sans qu’il soit question de flow…

Et les cambrioleurs ?

Là, j’ai exagéré un peu: je n’ai trouvé qu’un seul cas rapporté. Il s’agit d’un jeune cambrioleur, spécialiste du cambriolage nocturne dans des lieux habités.

Il décrit un état de flow typique lorsqu’il s’introduit nuitamment chez ses victimes pour les cambrioler pendant leur sommeil. Son expérience optimale consiste à faire exactement les gestes qu’il faut, quand il faut et où il faut pour être efficace à haut degré sans réveiller personne. Il décrit son sentiment de puissance, d’efficacité, de réussite sans effort, comme dans un rêve, sa satisfaction, son plaisir aigu de la performance.

Autant dire que le flow n’est pas en soi un bien… C’est juste un état particulier de conscience. reste à savoir ce qu’on en fait.

Le flow et la mémoire

Dans un blog sur la mémoire, ça devait finir par arriver…

La mémoire, ou plutôt la mémorisation, est sacrément aidée par la concentration. Or, le flow sans hyper concentration, ça n’existe pas. C’est un premier point.

Mais allons plus loin. Toutes les études sur le flow insistent sur la notion de motivation intrinsèque. Autrement dit la motivation à faire ce que l’on fait au fur à mesure qu’on le fait. C’est l’action en elle-même qui est motivante plus que le résultat.

Pour illustrer ça : quand vous apprenez l’anglais, l’état de flow fait que ce n’est pas le résultat (pouvoir voyager en pays anglophone, pouvoir prétendre à un poste à l’étranger ou lire des romans dans le texte originel) qui est motivant car vous n’y pensez alors même pas. Non, c’est l’apprentissage que vous êtes en train de faire en ce moment qui est motivant en soi.

C’est le second point.

Ces deux points réunis forment un puissant « booster » de mémorisation. Il n’y a aucun doute que le « flot » (clin d’œil à la sensation d’être entraîné quasiment malgré soi très présente dans cette expérience) favorise la mémorisation. De là à rechercher une entrée volontaire dans le flot, il y a un pas que je ne franchirai pas.

Vous avez compris je crois, mon scepticisme quant à la possibilité d’entrer en état de flot à la demande.

En revanche, les conditions propices à la concentration étant favorables à la survenue de « l’état flow » (certains auteurs en parlent ainsi) ne vous en privez pas. Vous connaîtrez peut-être ainsi l’expérience optimale (un autre nom du flow).

Ma conclusion

Vous l’aurez compris, je ne pense pas que cette capacité puisse vraiment être suscitée juste en cochant les prérequis ci-dessus. Pour moi, ce n’est pas quelque chose qui se commande vraiment.

Je penche d’autant plus pour cette conclusion que je n’ai pas trouvé la moindre expérience scientifique démontrant que les prérequis suffisent à vous faire entrer dans cet état.

Néanmoins, il parait probable qu’on ne puisse expérimenter l’efficacité de cet état modifié de conscience qu’est le flow, si vous ne cochez pas les prérequis… Alors si vous cochez toutes les cases, vous avez peut-être des chances. Ce pourraient être des conditions nécessaires mais pas forcément suffisante. C’est tout ce que je peux dire.

Je suis donc loin des promesses dans le genre « Comment atteindre facilement un état de flux et devenir plus productif », « les 4 étapes pour atteindre l’état flow » ou encore « L’État de Flow : L’Expérience Optimale Pour Accéder Au Bonheur » (les majuscules sont d’origine) !

Ce ne sont que quelques titres d’articles que j’ai trouvé en 2 clics sur le web et il y en a bien d’autres de cet acabit. Si mon propre article vous déçoit vous pourrez sans doute y trouver quelque consolation. Mais, dans ce cas, faites-moi quand même savoir si vous avez atteint l’état de flow et surtout si vous avez accédé au bonheur, ça m’intéresse. 😊

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Le guide complet du flow
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Le guide complet du flow
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Le flow est un état mental qui permet une extrême concentration, une fermeture aux distractions et une redoutable efficacité dans vos activités. Mais pouvez-vous obtenir cet état à volonté ?
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Le club Memori