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Diminuer l’intensité des émotions douloureuses (à défaut de les effacer) est possible. Une fois estompées ces émotions parasitent moins les souvenirs auxquels elle sont liées. Du coup, le souvenir devient supportable.

Cet article fait suite au précédent sur « l’effacement » des souvenirs douloureux.

Article mis à jour le 6 avril 2022

Rappels

Rappelons que le souvenir douloureux ne l’est que parce qu’il est associé à des émotions négatives qui, elles, sont douloureuses. Qu’il s’agisse d’un « placage » amoureux qui vous met au désespoir ou qu’il s’agisse d’une catastrophe aérienne dont vous sortez hagard et blessé, c’est toujours le même mécanisme.

Vous avez pu ressentir de l’incompréhension, de la désorientation, de la peur, de la panique, de l’angoisse etc… Quand le souvenir revient, il est totalement imprégné des émotions.

Aujourd’hui, le présent article concerne le « comment ça marche ». Il est quand même bizarre, en effet, de pouvoir atténuer une émotion. Certes, c’est une prérogative du temps. Avec le temps, les émotions s’estompent, perdent de leur acuité. Du moins, en l’absence de syndrome de stress post-traumatique. Dans ce dernier cas, au contraire, le temps n’a pratiquement aucune efficacité.

Mais de là à pouvoir diminuer artificiellement l’intensité d’une émotion ? Le billet précédent vous a montré qu’on peut l’atténuer… C’est donc vrai. Mais comment est-ce possible ?

C’est le sujet de cet article. Comme je l’ai dit à la fin du précédent, ne le lisez que si vous êtes motivé à comprendre le fond des choses… Je vous préviens que vous serez peut-être déçu. Certaines méthodes ne sont pas si efficaces que ça et on ne sait pas toujours comment ça fonctionne…

Une chose essentielle à savoir, les souvenirs sont stockés… démontés !

Aussi bizarre que ça puisse paraître, un souvenir est toujours stocké en pièces détachées. Le sens atterrit dans la mémoire sémantique, les éléments visuels dans la mémoire visuelle ou la mémoire des formes, la graphie des mots dans un module de la mémoire lexicale…

Les bruits, les odeurs, les sensations corporelles ont, elles aussi, leurs propres lieux de stockage. C’est la même chose pour les émotions, douloureuses ou pas: peur, jalousie, joie, anxiété, colère, amour etc.

Vous croyez avoir un souvenir global d‘un moment précis, mais non.

Lors du rappel, ce sont ses pièces détachées qui sont rappelées et votre cerveau reconstruit le souvenir avec elles. C’est comme si votre voiture était stockée en pièces détachées dans le garage et qu’il fallait la reconstruire à chaque utilisation…

Or beaucoup de ratés de la mémoire sont dus à la reconstruction. Il suffit de deux pièces détachées appartenant à des souvenirs différents mais très semblables pour qu’une confusion entre les deux fabrique un faux souvenir. Et vous allez y croire dur comme fer aussi bien que si c’était le bon.

C’est comme si vous sortiez votre voiture du garage avec un embrayage, une batterie ou un carburateur emprunté aux pièces détachées d’une autre voiture stockée là…

Alors, si une pièce d’émotion négative était remplacée par une pièce positive… on vivrait avec un souvenir aux émotions édulcorées, mais on vivrait mieux ! Mais non, ne rêvez pas, votre cerveau ne confondra jamais une émotion négative avec une émotion positive…

Pas plus que vous ne confondriez votre siège baquet tout cuir avec un siège en tissu tout râpé chipé par erreur à la voiture voisine !

Mais les émotions négatives, douloureuses, peuvent être complètement isolées…

Toutefois, si vous pouviez confondre une émotion négative avec une autre un peu moins négative, le rappel serait un peu moins douloureux. Si cette émotion édulcorée était ensuite remplacée par une autre moins négative, et ainsi de suite ? Là, on aurait une perspective, non ? Mais est-ce possible ?

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Jusqu’alors, l’idée d’origine était de diviser le flux émotionnel entre des chaînes associatives multiples pour affaiblir la pression émotionnelle sur la chaîne traumatique originelle. Mais là, on a un problème. Cela marche pour des émotions « normales ». Mais pas bien du tout pour des émotions hors normes. Par exemple, quand vous êtes (liste non limitative) :

  • Pris en otage ou menacé par des activistes violents et meurtriers
  • Surpris par une catastrophe naturelle de forte intensité
  • Victime d’un accident d’avion non anticipé
  • Rescapé d’un attentat meurtrier

Etc.

Or, en cas de surgissement soudain de l’impensable, le fonctionnement normal du cerveau est paralysé. Un événement comme celui du Bataclan, par exemple, ne peut pas être compris immédiatement. Faute d’avoir pu anticiper, vous ne comprenez pas ce qu’il se passe.

Vous entendez des cris et des rafales, mais c’est tellement déconnecté de ce que vous viviez une seconde avant que ça vous est incompréhensible. Ça ne vous parait pas réel. C’est tellement vrai que vous n’avez pas le réflexe de vous mettre à couvert immédiatement…

Du coup, quand vous arrive une lueur de compréhension, ce que vous vivez alors (angoisse massive, panique, peur de mourir) est totalement déconnecté aussi. Comme si votre cerveau emmagasinait tout ça dans un dossier à part, complètement isolé du fonctionnement cérébral normal.

Tout cela n’aura aucun lien associatif avec vos expériences précédemment mémorisées. Il sera donc difficile d’atteindre les émotions douloureuses pour les retraiter.

Les émotions douloureuses peuvent alors générer un syndrome
de stress post traumatique.

Les cris, les détonations, les morts, les blessés, les odeurs de poudre, le froid ou le chaud, la sensation des matériaux sur lesquels vous vous êtes allongés, la peur de mourir, l’angoisse massive au sujet de vos proches, la terreur noire etc. formeront bien entre eux une chaîne associative mais elle restera orpheline.

Si vous parvenez à verbaliser tout ça, cela vous permettra-t-il de faire après coup les liens manquants avec d’autres chaînes d’expériences ou de pensées ? L’usage montre que ça ne va pas de soi.

Pourtant, intellectuellement, cela vous permet bien d’avoir une compréhension après coup de que vous avez vécu. Les bribes de compréhension que vous avez eues pendant les événements peuvent bien se relier avec ce que vous avez appris après coup. Un lien semble bien se créer entre la chaîne orpheline et d’autres chaînes de pensées.

Mais il semblerait que les bribes de compréhension dans cette chaîne restent indépendantes des émotions ressenties. En se liant aux informations apprises ensuite, elles n’emmènent donc pas les émotions avec elles. Celles-ci restent coincées dans leur chaîne orpheline.

Cela donnera probablement un syndrome de stress post traumatique. Chez les spécialistes, on appelle cela un PTSD (Post Traumatic Stress Disorder).

Quels sont les symptômes du PTHD ?

Il y en a tout un catalogue mais voici, selon mon expérience, les plus fréquents :

  • Flashes mnésiques, reviviscence de l’évènement traumatique
  • Peur intense, sentiment d’impuissance
  • Arythmie cardiaque, tachycardie
  • Hyperventilation : respiration courte et rapide, impression de suffoquer
  • Anxiété paralysante, tremblements, transpiration, frissons
  • Comportement continûment aux aguets d’un danger possible
  • Instabilité de l’attention, problème de concentration et troubles de la mémoire
  • Insomnies, troubles du sommeil

Ces phénomènes sont répétitifs et les victimes ont le sentiment d’un carrousel sans fin. Nombre de ces symptômes sont des remémorations brutes de décoffrage : de l’évènement, des perceptions, des sentiments, des émotions ressenties alors.

D’autres, comme les troubles du sommeil ou de l’attention semblent être des conséquences. Toujours est-il que la théorie généralement admise revient à dire en termes courants que, ne pouvant pas s’épuiser dans le système psychique global, l’énergie des émotions négatives exerce une pression irrésistible sur l’accès à la conscience.

Mon métier m’a montré que, par un long travail psychothérapique, il est possible de recycler une grande partie de ces émotions et souvenirs dans le grand système psychique global. Et que les symptômes s’atténuent.

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Toutefois je n’en parlerai pas plus ici en raison de deux inconvénients majeurs. D’abord, on est sur le temps long : plusieurs années. Ensuite, tout le monde ne peut pas faire une psychothérapie : certaines personnes y sont rétives, il faut trouver le praticien compétent et le suivi est parfois peu compatible avec certains modes de vie ou de travail.

C’est pourquoi j’avais orienté l’article précédent sur d’autres techniques.

Les tentatives d’atténuer les émotions douloureuses

Les psychothérapeutes connaissent bien la difficulté à rediriger après-coup les émotions dans les circuits normaux : c’est comme si elles restaient collées par un adhésif puissant au circuit traumatique orphelin.

L’abréaction freudienne se pratique sur des souvenirs anciens. Cela fonctionne assez bien, dès lors qu’il n’y a pas de PTSD, pour les « affects coincés » depuis longtemps dans des circuits mnésiques qui ne sont pas complètement isolés.

Il en est souvent de même pour l’hypnose, qui intervient fréquemment bien après l’événement. C’est la même chose pour l’AMDR (voir l’article précédent), une technique apparentée, qui se propose aujourd’hui de traiter le PTSD mais pas de le prévenir. Les techniques par injection (voir article précédent) semblent aussi se projeter dans le traitement du PTSD. Donc assez tardivement aussi.

On devrait pourtant obtenir plus d’efficacité en s’y prenant avant la formation du PTSD. Et cela devrait aller plus vite. C’est pourquoi on a imaginé le débriefing psychologique comme techniques d’urgence, dans les 3 jours après l’événement.

Le débriefing psychologique, comment ça devrait marcher

Le débriefing, par nature, se pratique très tôt. Il faut savoir que le traumatisme n’est pas immédiat, après un événement supposé traumatisant. Il y a même parfois une période de latence très longue. Cela peut se mesurer en semaines, en mois ou en années.

Le débriefing psychologique pourrait donc carrément éviter le traumatisme. Et s’il n’y a pas de traumatisme… il ne peut pas y avoir de syndrome post-traumatique… On comprend l’intérêt du projet.

Lorsque j’ai suivi mon cursus de victimologie, j’étais perplexe sur le dispositif. Les premières choses qu’on exprime lorsque l’on survit à une catastrophe, ce sont des émotions, des symptômes physiques, de la peur, du désarroi. Est-il judicieux de les brider et de n’en parler qu’au troisième temps du processus (voir article précédent) ?

D’un autre côté, ce qui manque aux rescapés, c’est une histoire de l’événement, dans le fil de laquelle ils pourraient insérer leurs bribes de compréhension et leur vécu. Sur le papier, il n’est pas donc pas irrationnel de commencer par les faits. Sauf qu’en bridant l’expression émotionnelle au début du processus, il n’est pas sûr que l’esprit des personnes soient apte à une compréhension rationnelle…

Toutefois c’est ainsi que le débriefing psychologique a été conçu par nos cousins d’outre-Atlantique. Un peuple toujours pressé d’aller au but…

Par ailleurs beaucoup d’études ont été menées par des médecins militaires. Il faut dire que les soldats fournissent chaque année un fort contingent au PTSD et que ces soldats ne sont plus opérationnels. L’Armée est toujours pressée de les renvoyer au front en bon état de marche. Et, dans l’Armée, on ne veut pas trop entendre parler des émotions…

Ceci explique peut-être cela.

Le débriefing psychologique : alors, comment
ça marche vraiment ?

Je dois avouer que je n’en sais rien.

Pour ma part, j’ai toujours préféré laisser s’exprimer les émotions jusqu’à ce qu’on arrive à leur épuisement apparent. Ensuite l’esprit des victimes est plus à même de considérer les événements. C’est délicat parce que, dans un groupe, l’expression émotionnelle est contagieuse et peut susciter une sorte de surenchère. Cette phase « d’épuisement » doit donc se faire en individuel.

Ensuite, le débriefing en groupe est beaucoup plus attentif et riche que dans la méthode canonique. La compréhension est meilleure. Cela ne me surprend pas, étant donné que les émotions sont les pires ennemies de la raison. Jusque-là, je vois bien comment ça marche. Mais pour le débriefing lui-même, aucune des théories émises ne me parait fonctionnelle.

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Certes, il y a des succès en termes d’apaisement émotionnel et d’évitement du PTSD. Mais ils ne semblent pas majoritaires.

Evidemment, il y a beaucoup d’appréciations positives de la part de participants. Mais ils ne sont pas confirmés par des examens cliniques.

Certes, il y a des études qui concluent aux bienfaits de cette techniques. Mais il y en a d’autres plus mitigées, voire sceptiques, et même quelques rares négatives qui vont parfois jusqu’à affirmer que le débriefing pourrait être lui-même traumatique. Un comble !

Mon sentiment est que cela est positif pour certain, neutres pour beaucoup et possiblement négatif pour quelques-uns. Malgré plusieurs décennies d’usage, les résultats sont mitigés, les processus à l’œuvre incertains, mais on continue de la faire en se disant qu’au pire, ça ne devrait pas faire de mal.

Ce n’est sûrement pas très scientifique. J’espère voir un jour une étude internationale d’envergure, avec des hypothèses claires à tester et un protocole identique pour toutes les équipes… Espérons !

Le propanolol, la panacée pour retraiter les émotions douloureuses là où elles se trouvent ?

Je vous avais prévenu que vous pourriez être déçu par cet article… enfin, jusqu’au présent paragraphe ! En effet, est-ce qu’on ne tiendrait pas là (enfin !) quelque chose qui marche et dont le processus est explicable ?

Lors de la seconde injection (voir article précédent) lorsque on demande au patient de lire son texte, il est sous l’effet de l’anxiolytique. Du coup, le retentissement émotionnel est un peu moindre. Le patient va donc mémoriser cette expérience émotionnelle légèrement atténuée.

C’est la même chose pour les expériences suivantes. Chaque fois, il mémorise une émotion moins intense, donc moins douloureuse. La 5ème ou 6ème fois, il ne se reconnait plus dans les émotions évoquées dans son texte initial. Il y a donc eu un affaiblissement de l’intensité douloureuse des émotions.

Jusqu’à présent, on s’évertuait à vouloir éjecter l’émotion douloureuse de son circuit privé pour la ventiler dans les circuits « officiels » de la mémoire normale. Il y avait déjà eu, certes, des tentatives de la traiter directement dans la chaîne des souvenirs émotionnels. Par exemple, avec des techniques d’exposition aux situations anxiogènes. Mais, dans ces cas-là, on est plutôt dans la configuration d’émotion « normales » dans les circuits « normaux ».

La technique d’Alain Brunet, expérimentée depuis plus de 10 ans, s’applique au contraire à des émotions hors normes dans le cadre d’un PTSD. Autrement dit des émotions isolées de tout, mais virulentes. C’est donc dans ce « dossier à part » que j’ai évoqué plus haut, que se passent les opérations d’affaiblissement des émotions négatives.

Traiter le problème là où il est, de cette façon, parait particulièrement économique à tous points de vue.
Moins d’effort thérapeutique, gain de temps, efficacité… C’est les laboratoires qui vont être contents ! Mais je pense surtout aux patients.

Conclusion

Je suis, comme tous les « psys », complètement phobique de l’idée selon laquelle on peut obtenir des changements psychiques avec des molécules. Quand on est capable de sortir d’affaire des déprimés uniquement par la psychothérapie, on enrage d’en voir d’autres qui traînent depuis 20 ans une dépression plus ou moins contrôlée par des antidépresseurs. C’est compréhensible.

Mais là, je suis vraiment bluffé.

Il conviendra évidemment de suivre les cohortes de patients pour vérifier la tenue dans le temps des modifications obtenues. Mais cela semble prometteur car c’est fondé sur une hypothèse crédible. Je n’en ai pas donné le détail ici car cela se joue dans les processus chimiques cérébraux de consolidations successives, un peu complexes pour les exposer ici. Mais le sous-bassement théorique parait sérieux.

Qui sait ? Un jour peut-être, nos labos vont nous promettre la même chose en pilule… Un chagrin d’amour effacé en 6 semaines ? Ecrivez votre histoire et, une fois par semaine, relisez là après avoir avalé votre cachet… Au bout de 6 semaines vous serez déjà en train de draguer quelqu’un d’autre !

Merveilleux ? Je ne trouve pas. Je préfère vivre mes émotions normales (car on est loin ici d’un épisode traumatique…) et leur laisser le temps de s’adoucir ou de se transformer. Je dois être vieux jeu.

Mais ça nous pend au nez…

Sommaire
Comment atténuer les émotions douloureuses liées à un souvenir ?
Titre de l'article
Comment atténuer les émotions douloureuses liées à un souvenir ?
Description
Cette fois je vous montre un peu les coulisses de l'entreprise d’atténuation des souvenirs douloureux. C'est la suite de l’article précédent. sur l'effacement des souvenirs...
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Le Club Memori